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dimanche, 08 décembre 2013

UNE MUSIQUE POUR SPECIALISTES

UNE MUSIQUE INTERDITE AU PUBLIC

 

J’ai évoqué récemment le compositeur Arnold Schönberg. L’actualité  France Musicienne m’amène à y revenir. C’est dit : la plupart des mélomanes d’aujourd’hui sont des imbéciles et/ou des réactionnaires. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le délicat, ironique et précieux Jean-Pierre Derrien, lors de son émission musicale du vendredi matin. 

SCHOENBERG 2.jpg

Pour être tout à fait juste, j’ajoute qu’il n’a pas dit ça. L'homme est trop poli et courtois pour ça. Mais c’est ce que j’ai déduit de la façon dont il a présenté la figure d’Arnold Schönberg : à quelques minutes de distance, après avoir insisté sur le caractère « révolutionnaire » de l’homme, il a dit successivement : « La figure aimée d’Arnold Schönberg », puis : « Arnold Schönberg le mal-aimé ». Petite contradiction en apparence.

 

En fait, on voit bien que dans un premier temps il déclare sa flamme au compositeur, puis qu’ensuite, il regrette que le public ne se précipite pas en masse aux auditions du Pierrot lunaire et aux représentations de Moses und Aron. On apprend que son invité Florent Boffard, pianiste tout à fait estimable, a publié un CD regroupant les œuvres pour piano, auquel est adjoint un DVD où il se met en tête de dévoiler à l’éventuel auditeur les tenants et les aboutissants de la musique du Viennois, disant que lorsqu’il prend soin d’expliquer les ressorts de cette musique, elle est bien mieux accueillie par les auditeurs.

 

Et c’est précisément ce point qui retient mon attention. Car je me dis que, quand même, Arnold Schönberg est né en 1874, qu’il est mort en 1951, et qu’il a inventé son système (je dis bien « système ») dodécaphonique au tournant des 19ème et 20ème siècles. Je veux dire que ça fait plus d’un siècle que ce système a été mis au point, et que ça a quelque chose d’extraordinaire. Oui, j’ai bien dit « extraordinaire ».

 

Ben oui quoi, n’est-ce pas authentiquement extraordinaire que cent ans après son invention, la musique ainsi produite ait encore besoin d’être expliquée au bon peuple, assez benêt pour s’obstiner à ne pas saisir les beautés qu’elle recèle ? Qu’il faille faire œuvre de pédagogie pour le faire changer son hostilité en amour ?

 

Que les programmateurs de concerts obligent le public à en avaler une dose judicieusement placée entre deux œuvres plus conventionnelles, en espérant qu’il s’habituera ? Que le dit public persiste dans sa répugnance à reconnaître son caractère révolutionnaire ? Cent ans d’une inébranlable résistance de masse aux inventions des compositeurs adeptes du sérialisme, cela devrait leur poser question, à Jean-Pierre Derrien et Florent Boffard, non ? Normalement.

 

Non, Derrien et Boffard ne se posent pas la question. Il ne leur vient pas à l’esprit de se demander pourquoi la « musique contemporaine » a tant de mal à se faire admettre dans l’univers culturel à égalité avec des programmes plus « conventionnels ». Parce que c’est aussi bizarre, je trouve, que l’on soit encore conduit à apposer l’étiquette « musique contemporaine » sur les productions des compositeurs vivants. A croire que c’est fait pour servir d’appât pour les uns et de repoussoir pour les autres.

 

Toujours est-il que cent ans après, la musique sérielle n’est toujours pas entrée dans les mœurs, malgré les efforts de damnés produits par ses thuriféraires (Berg, Webern : franchement, vous avez déjà écouté avec un vrai plaisir sensoriel la musique de ce dernier ?) et ses disciples intégristes (Boulez, Stockhausen) pour contraindre les oreilles humaines à se soumettre à leurs diktats. 

SCHÖNBERG 1.jpg

VOILÀ, C'EST ÇA, LA MUSIQUE SERIELLE (ECOUTEZ).

(désolé, après vérification, la vidéo s'annonce non disponible)

VOUS POUVEZ VERIFIER : IL Y A BIEN LES DOUZE NOTES DE LA GAMME.

Un siècle de résistance passive de la population normale, ça devrait vous inciter à réfléchir, messieurs Derrien et Boffard. Et je n’ai pas parlé de la « musique concrète » de Pierre Schaeffer, de Désert ou d’Amérique d’Edgar Varèse et autres fantaisies électro-acoustiques (François Bayle, Bernard Parmegiani – qui vient de casser sa pipe –, Guy Reibel, Denis Dufour, …).

 

Aussi longtemps que nul n’aura plaisir à fredonner Stimmung sous sa douche ou dans sa voiture (c’est de Stockhausen), il faudra se résoudre à admettre l’évidence : les oreilles normales n’en veulent pas, un point c’est tout.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

vendredi, 15 novembre 2013

QUELQUES NOTES SUR UNE SUITE DE NOTES

 

SAÔNE 1.jpg

LA SAÔNE EN CRUE

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Préambule : Christiane Taubira retranchée de l'espèce humaine ? Il ne faut rien exagérer. Je remarque que l'offensive antiraciste du gouvernement Hollande-Ayrault au grand complet dressé sur ses ergots intervient dans une période de basses-eaux comme jamais vu pour un président à la chair duquel chaque petit événement arrache un petit lambeau. Si ça continue, on aura à faire dans pas longtemps à un squelette de Hollande.

 

Et je me dis que la "une" de Minute tombe à pic pour lui reconstituer un peu d'épiderme sans trou. L'affaire Taubira : une véritable aubaine pour un président en détresse. Hissez bien haut l'étendard des « valeurs » de « gauche ». Aussi longtemps qu'on verra un bonnet rouge à l'horizon. Diversion, vous avez dit ? Ben oui, pour écarter le danger de ma personne présidentielle, rien de tel qu'une bonne affaire lacrymogène.

 

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Résumé : les compositeurs du 20ème siècle, pour s’arracher aux pesanteurs insupportables de la tradition et pour imposer leur idée d’un « Progrès » en musique, ont fait feu sur tous les éléments qui entraient dans la composition de la dite tradition. Schönberg avait déjà bien déblayé en éliminant la tonalité (do majeur, sol septième) pour ne plus voir qu’une seule tête dans la file de douze sons égalitarisés à la tronçonneuse.

 

Dans le même sac poubelle, ses suiveurs ont jeté les rythmes, les harmonies. Même l’instrument de musique y est passé. Mais ce qui se remarque par-dessus tout, c’est la disparition de la mélodie, c’est-à-dire ce qui permettait à l’amateur de participer à la musique entendue, à sa façon : « La foule les chante un peu distraite en ignorant le nom de l’auteur, sans savoir pour qui battait leur cœur » (Charles Trenet). La mélodie, parfaitement, qui est la marque de la politesse bienveillante du compositeur à l’égard de celui à qui il s’adresse.

 

Dans son livre Les Balesta, que j’ai en ce moment un peu de mal à terminer, Henri Bosco imagine le personnage de Melchior. Il est célibataire, il a soixante ans. Quand il avait 20 ans, il fut amoureux fou d’une fille de « La Haute » qui le lui rendait bien, mais membre d’une noble famille habitant sur le Mourreplat, dans les hauts de Pierrelousse. La dite famille, horrifiée par la mésalliance, mit brutalement fin à ce sentiment réciproque en enfermant la fille au couvent.

 

Melchior ne l’a jamais oubliée. Elle s’appelait Elodie. Très habile de ses doigts, il a sculpté une statue à la taille réelle de l’objet de son amour, une statue comme vivante, et d’une ressemblance hallucinante. Mais il a également construit une harpe magnifique, dont il joue souvent, et dans le bois de laquelle il a gravé ceci : « Elodie Mélodie ». C’est à ce point que je voulais en venir. J’ajoute juste que statue et harpe (et même fantôme de Melchior) jouent un rôle dans L’Epervier, dernier volet de la saga de Pierrelousse.

 

Parmi les plus graves reproches qu’on peut faire à beaucoup de compositeurs du 20ème siècle, c’est d’avoir abandonné lâchement le pilier immémorial de la musique, d’avoir réduit en miettes le socle sur lequel sa statue vivante s’élevait depuis qu’un homo sapiens à peine sorti de l’animalité, avait eu l’idée de se servir des deux cordes blotties au fond de son gosier pour produire autre chose que les syllabes dont il usait dans la conversation courante.

 

En faisant durer le son, en en faisant varier la hauteur et l’intensité, il s’en était servi pour faire quelque chose de totalement incongru : chanter. On a appelé ça « mélodie ». La voix est le premier instrument de musique, bien avant tout autre. Ce n’est qu’après coup (je n’y étais pas, mais …) que l’homme s’est dit que ce serait bien de s’accompagner en tapant sur des objets sonores, en frottant, pinçant ou frappant des cordes tendues, en soufflant dans des objets creux percés de trous.

 

Jusqu’au 20ème siècle, donc, pas d’autre issue pour le musicien que d’aligner sur une portée des notes enchaînées les unes aux autres par la seule logique du chant humain. D’ailleurs, bien des compositeurs ont persisté dans l’écriture mélodique : aucune rupture ne se fait dans l’histoire de quoi que ce soit de façon aussi tranchée et brutale, même la Révolution a pris quatre ans pour s’occuper de la tête de Louis XVI.

 

Il reste que, jusqu’au 20ème siècle, TOUTES les musiques sont faites pour être éventuellement chantées, même celles écrites pour être sonnées (opposition sonate / cantate). Cela ne veut pas dire que la mélodie est la composante exclusive de la musique, c’est bien clair, juste la composante horizontale. Comme nos phrases syllabe après syllabe, les notes se suivent sur une ligne, pour la raison que le gosier ne peut émettre qu’un son à la fois (et qu’on ne me sorte pas ici l’exception des chants diphoniques du Tibet ou d’ailleurs).

 

Mais au fond, qu’est-ce que c’est, une mélodie ? Qu’est-ce qu’elle a de spécial, cette suite de notes ? Cela dit sans vouloir faire de la théorie musicale : j’ai assez sué et bavé sur la Théorie de la musique de Danhauser pour envisager de l’infliger à qui n’aurait pas mérité un châtiment exemplaire pour ses entorses, incartades et autres infractions.

 

Tout ce que je peux faire, en tant qu’auditeur, c’est me référer à quelques-unes des innombrables mélodies qui se sont à jamais gravées dans mon disque dur interne (et qui, publicité ou lied, mouvement d’orchestre ou solo d’alto, ressurgissent parfois selon l’ordre des préférences hiérarchisées qui se sont mises en place avec le temps, parfois selon le désordre du chaos indifférencié qui s’impose tout à coup à ma mémoire).

 

Je pense par exemple à cet air de Purcell (est-ce dans King Arthur ou dans The Indian queen ?) : « How blessed are shepherds, How happy their lasses … ». Ou bien au solo de l’alto dans Roméo et Juliette (accompagnement de harpe, s’il vous plaît) : « Premiers transports que nul n’oublie, Premiers aveux, premiers serments de deux amants, Sous les étoiles d’Italie ; … ». Les paroles sont de Berlioz lui-même, on peut y trouver à boire et à manger. Mais je me récite aussi parfois la sublime mélodie du ländler viennois que forme l’« andante moderato » (2ème mouvement) de la symphonie « Résurrection » de Gustav Mahler.

 

Je ne sais pas comment je pourrais faire partager le plaisir ressenti à chanter de ces mélodies. J’ai d’ailleurs du mal à imaginer qu’il n’en soit pas de même pour tout un chacun, même si je sais qu’il n’en est rien. Je le regrette pour ceux qui, comme mon ami R., chantent épouvantablement faux. Heureusement, il est lucide. Non, ce que je persiste à ne pas comprendre, c’est la haine de beaucoup de compositeurs de la modernité pour tout ce qui pourrait ressembler à une ligne de chant.

 

Comme dans beaucoup des visages qu'a montrés le XX siècle, je vois quelque chose d'inhumain dans les œuvres musicales qu'il a produites. Peut-être est-ce juste un refus de l'humain. Cela reste très peu engageant.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

 

mercredi, 13 novembre 2013

QUE FAIRE DE L'ACTUALITE ?

 

Morlaas 64.JPG

MONUMENT AUX MORTS DE MORLAAS, PYRÉNÉES-ATLANTIQUES

SCULPTURE D'ERNEST GABARD

 

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Préambule : MONSIEUR L'ABBÉ EDWY PLENEL MONTE EN CHAIRE. L'ancien directeur du journal Le Monde (avec Alain Minc et Jean-Marie Colombani) s'est recyclé dans la presse internet (Mediapart). Accessoirement, le mercredi, France Culture lui ouvre un micro, autour de 7h20, pour qu'il y tienne une chronique.

 

Les thèmes d'Edwy Plenel : la tolérance, l'antiracisme, la solidarité et autres fables morales pour l'édification des foules. Ce matin, il a volé au secours du soldat Taubira, traîné dans la boue à la une du torchon Minute, après avoir été vilipendé et insulté par quelques gredins et autres brutes à front bas de la droite forte, décomplexée et, disons-le, d'extrême-droite. Ces insultes envers cette femme noire ne m'inspirent que du dégoût.

 

Mais comment se fait-il qu'entendre monsieur Plenel prendre la défense de la ministre m'horripile, au point que ce sont ses propos qui m'inspirent du dégoût ? Comment se fait-il que la chronique d'Edwy Plenel, chaque semaine, résonne à mes oreilles de façon insupportable ? Comment des propos censés faire honneur aux droits de l'homme produisent des échos à ce point répugnants ?

 

Après réflexion : Edwy Plenel a laissé à la patère du studio sa défroque de journaliste pour se vêtir tout soudain d'un uniforme qu'on croyait depuis une éternité jeté aux orties : une SOUTANE. Il faut entendre cette voix d'ancien séminariste (s'il ne le fut pas, il aurait dû) vous susurrer sur le ton de l'admonestation : « Ce n'est pas bien, ça, mon enfant. Vous direz trois Pater et dix Ave ». Je n'exagère qu'à peine (la pénitence est ici figurée par une invite à une manif en décembre). Voilà pourquoi, quand je l'entends, j'ai tout d'un coup envie de donner des gifles. Edwy Plenel : un curé moralisateur, un flic doublé d'un prophète. Triple figure de l'abjection.

 

Heureusement, je crois que les droits de l'homme sont plus grands que les petitesses du minuscule Edwy Plenel, sinon, il serait capable de m'en dégoûter. Mais je n'oublie pas que France Culture lui offre une tribune.

 

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Résumé : finalement, s'intéresser à l'actualité, c'est se condamner à mouliner du commentaire. Exemple le débat Karol Beffa/Philippe Manoury chez Alain Finkielkraut. Si les gens ne veulent pas de la « musique contemporaine » dont ses thuriféraires veulent les emboquer, ce n’est pas qu’ils n’ont pas compris, c’est juste qu’ils n’en veulent pas. On en était resté là. 

 

Ensuite et de deux, je ne suis pas du tout sûr comme Manoury que les compositeurs actuels se soucient tant que ça de la réception de leur travail sur les sons par leurs destinataires putatifs. Ils sont en effet un certain nombre, dans la lignée et la descendance de Pierre Schaeffer, à composer encore des morceaux incluant divers bruits du monde, quand ils n’en sont pas exclusivement constitués.

 

Est-ce Ondrej Adamek qui, dernièrement, a placé un micro à la sortie du moteur de son aspirateur pour en faire un « objet musical » (expression consacrée de Pierre Schaeffer, entérinant pour la musique la coupure entre "œuvre d'art" et "objet d'art") ? Je ne sais plus.  Pour justifier le terme de « composition » musicale, est-il suffisant de monter ces bruits enregistrés dans un ordre précis et/ou de les retravailler avec l’électronique disponible ?

 

Je fais partie des réactionnaires qui se réjouissent de rester dans l’erreur et persistent à opérer une distinction entre des sons musicaux et des bruits de la nature ou de la société. Les uns sont produits par un instrument spécifique fabriqué exprès pour ça, et les autres se contentent d’être recueillis ou imités. D’un côté ils sont vraiment inventés (avec plus ou moins de bonheur et de maîtrise) par quelqu'un qui a appris tout ce qu'on peut savoir de ce langage, de l’autre ils sont enregistrés. Même si un technicien intervient ensuite pour les trafiquer, ça ne suffit pas pour appeler ça « musique ».

 

Je vais plus loin : le piano est fait pour qu’un individu assis devant appuie ses doigts sur les touches, il n’est pas fait pour, comme je l’ai souvent vu faire, que l’individu en frappe le bois ou en aille gratter les cordes en introduisant la main (et autres fantaisies savantes et/ou délirantes). Le souffle de l’instrumentiste dans la clarinette est émis non pas pour se faire entendre en tant que tel (le bruit d’un souffle traversant la colonne cylindrique de l’instrument), mais pour former les sons organisés en vue desquels Johann Christoph Denner l’a inventée au 18ème siècle.

 

Voir un violoniste fouetter son instrument à coups d’archet ne m’inspire que tristesse apitoyée. Et que dire quand les quatre instrumentistes, s’interrompant soudain, posent violons, alto et violoncelle pour saisir, sous le pupitre, des verres en cristal à moitié remplis d’eau et, du doigt tournant sur le bord, les font résonner comme nous faisions enfants ?

 

Dans le débat opposant Karol Beffa et Philippe Manoury, Finkielkraut, qui avouait ne pas être mélomane, reprochait à la musique contemporaine de donner l’impression au public qu’aujourd’hui tout est devenu possible (cf. le slogan qui a fait gagner Sarkozy en 2007 : « Ensemble tout devient possible »). J’ai le mauvais esprit de croire que, dans la bouche de Finkielkraut, le « Tout est possible » peut se traduire par : « On fait n’importe quoi », ou « N’importe qui est capable de tout ». Alors, est-ce qu’on a « tout » ou « n’importe quoi » ? Les deux, mon général, puisque c’est la même chose.

 

Je me rends compte tout à coup que me voilà à cent lieues de ce que je voulais dire au début. J’ai laissé la bride sur le cou à mon dada, et lui, bien sûr, il est parti à fond de train dans sa direction préférée. Ce n’est que partie remise. Je conclurai quand même sur un mystère : qu’est-ce qui fait que certaines œuvres musicales du 20ème siècle me touchent, me prennent, me bouleversent ? Je pense à Vingt regards sur l’enfant Jésus de Messiaen, aux quatuors à cordes d’Olivier Greif ou de Philip Glass, à Sinking of the Titanic de Gavin Bryars, et à bien d’autres. Qu’y a mis le compositeur pour provoquer cet effet ? Mystère.

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Parmi les autres musiques, il y en a de deux sortes : beaucoup se contentent de me laisser aussi froid et dur qu’une bûche, mais beaucoup aussi me révulsent, me hérissent, me repoussent hors d’elles, pour la raison que j’y entends ricanements et sarcasmes, et que j’ai la très nette impression que leur compositeur se paie ma fiole, se fiche de moi, bref, qu’il y a là du foutage de gueule, et rien d’autre.

 

Qu’en concevant son « travail », il s’est posé une seule question : « Qu’est-ce que je pourrais bien faire pour faire parler de moi ? ». La réponse est : « De la provocation », que je traduis : « N’importe quoi pourvu que ça fasse de la mousse ». C’est le cas de toute œuvre d’art « conceptuelle », c’est-à-dire qui ait besoin d’être soutenue par un discours savant, construit, compliqué et théorique pour justifier son existence. C’est le cas de beaucoup de mises en scène d’opéra : ah, les mitraillettes dans Le Chevalier à la rose ! La Sunbeam poussée sur scène dans Cosi Fan Tutte !

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SUNBEAM TIGER (1966)

C’est le cas, j’en ai déjà parlé ici, de 4’33’’ de John Cage, où le pianiste, en restant les bras croisés, veut prouver au public que, même quand le piano ne sonne pas, il y a encore de la « musique » : celle faite par les spectateurs réunis dans la salle de concert : fauteuils qui grincent et autres nuisances. La belle affaire, vraiment !

 

La même histoire que les mangeurs de bonbons et les enrhumés des concerts classiques (ah, l’adagio de l’opus 18 n°1 sur fond de catarrhe tubaire !), sauf qu’avec Cage, ces nuisances sortent de la poubelle et, promues en plat principal, sont servies dans la vaisselle de prestige. Quelle subtilité dans le message ! Quel art dans la démonstration !

 

Comme si l’on érigeait le déchet en œuvre d’art, ce dont ne se privent pas, au demeurant, bien des artistes plasticiens. Sans doute en signe d’adhésion à la « société de consommation » (sachant que « consommer, c’est détruire »).

 

Les Sequenze de Luciano Berio ne sont sûrement pas du « foutage de gueule », mais à quoi bon, cher Maître, vouloir à tout prix pousser les instruments (voix comprise, ah, la belle Cathy Berberian !)monuments aux morts,grande guerre,guerre des tranchées,guerre 14-18,edwy plenel,france culture,musique contemporaine,karol beffa,philippe manoury,alain finkielkraut,pierre schaeffer,ondrej adamek,nicolas sarkozy,olivier messiaen,olivier greif,gavin bryars,vingt regards sur l'enfant jésus,le chevalier à la rose,cosi fan tutte jusque dans leurs ultimes potentialités ? Franchement, chercher à en épuiser les possibilités d’expression, est-ce encore de l’art ? N’est-ce pas plutôt de la performance sportive ? A l’écoute de ces pièces solistes, non seulement je n’éprouve ni émotion ni plaisir esthétique, mais je pense à Cassius Clay, après sa victoire sur Sonny Liston en 1964, faisant le tour du ring en criant : « I am the king of the world ! I am the king of the world ! ».

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Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

mardi, 12 novembre 2013

QUE FAIRE DE L'ACTUALITE ?

 

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MONUMENT AUX MORTS DE JOYEUSE, ARDÈCHE

SCULPTURE DE GASTON DINTRAT

 

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Ce n’est pas que je me pose plus de questions qu’il n’est convenable pour vivre heureux, mais je me dis que les lecteurs qui me font l’amabilité, et pour quelques-uns l’amitié de rendre visite à ce blog se demandent peut-être pourquoi, depuis quelque temps (ça va finir par se compter en mois), j’ai quasiment cessé de découper ici le fruit de quelques réflexions qui me viennent au sujet – disons-le crânement sans nous dissimuler l’ampleur démesurée de l’ambition et peut-être de la prétention –, de la marche du monde, du sens de l’existence ou de l’état moral et intellectuel de la société (en toute simplicité, n’est-ce pas) dans laquelle nous vivons.

 

Ne nous voilons pas la face : je faisais ici mon petit « Café du Commerce ». Autrement dit je passais bien du temps à refaire le monde, un peu comme tout un chacun le fait à un moment ou à un autre, au comptoir ou à la terrasse, en charriant, désinvolte, des mots trop gros pour passer au tamis des intelligences moyennes comme sont la plupart des nôtres. Pour être honnête, je dois dire (à ma décharge ?) que mes propos se muaient de plus en plus souvent en incursions de plus en plus insistantes dans la chose littéraire (Philippe Muray, Montaigne, Hermann Broch et surtout, depuis cet été, Henri Bosco, dont j’ai maintenant presque achevé le tour du monde de l’œuvre).

 

Ce n’est pourtant pas que j’ai cessé de réagir aux fantaisies, désordres et monstruosités offertes « en temps réel » par l’actualité de la vie du monde. Tiens, pas plus tard que ce matin, dans l’émission d’Alain Finkielkraut, j’ai bondi sur ma chaise en entendant les propos de Philippe Manoury, tout en abondant dans le sens de son interlocuteur Karol Beffa. Les duettistes se disputaient (très courtoisement) au sujet de la « musique contemporaine ». 

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La question était de savoir pourquoi le public met la marche arrière quand il s’agit d’acheter des billets d’entrée aux concerts des « musiques savantes d’aujourd’hui », au point que les programmateurs « modernistes » ou même « avant-gardistes » sont obligés d’entrelarder dans des proportions variables leurs programmes classiques d’œuvres en « création mondiale ».

 

La dose de « musique innovante » doit être savamment calculée, pour donner au plus grand nombre l’impression d’être cultivé, mais ouvert à ce qui s’invente au présent. Une façon confortable d’être tout à la fois « conservateur » et « progressiste », si tant est qu’on puisse parler de progrès dans les formes esthétiques. A la fin du concert, les payeurs de leur place ont à cœur de faire un triomphe à tout le monde, histoire de rentabiliser psychologiquement le prix payé et d’éviter de se dire qu’on a gaspillé son argent.

 

Plus les applaudissements sont nourris, plus le retour sur investissement social était justifié, en quelque sorte. Je dis "social" parce que je crois qu'il y a beaucoup de souci de paraître (et de paraître branché) chez ceux qui courent aux concerts contemporains.

 

Karol Beffa a bien raison de dire qu’après le sérialisme intégral et la dictature dodécaphonique, les compositeurs n’ont plus osé écrire de la musique que l’auditeur aurait eu plaisir à chanter si elle avait comporté cette chose désuète qu’on appelait, avant les progrès de la modernité, la MELODIE.

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Et Philippe Manoury a bien tort de répliquer qu’il met n’importe qui au défi de chanter une seule mélodie de Charlie Parker au saxophone : Mimi Perrin et les Double Six sont là pour prouver qu’il est même possible de placer en virtuose des mots sur des mélodies virtuoses. Quand je parle de la mélodie, je pense à cette part de la musique que monsieur tout le monde n'a aucun mal à s'approprier. Les duettistes ne parlent donc pas de la même chose.

 

Philippe Manoury a ensuite cette déclaration qui sonne comme un aveu : « Les compositeurs d’aujourd’hui se préoccupent de nouveau de la réception de leur musique ». D’abord et d’une, c’est bien de reconnaître qu’auparavant (disons depuis la révolution Schönberg) les compositeurs se fichaient éperdument de ce que pouvait ressentir l’auditeur en entendant leur musique. 

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Appelons cela « musique de laboratoire » ou « musique expérimentale », où le laborantin laborieux considère l’auditeur comme un simple cobaye. Le problème de la « musique contemporaine » est que la majorité des cobayes persistent à se rebiffer et à refuser d’entrer dans les éprouvettes. Et qu’on n’aille pas me soutenir que les dits cobayes ont tous tort au motif qu’ils ne montent pas dans le train royal du « Progrès » de la culture.

 

Quand ils forment l’immense majorité, il n’est pas sûr qu’on puisse en conclure que « la musique contemporaine souffre d’un déficit de communication » (vous pouvez remplacer la musique par l’Europe ou la réforme des retraites, car l’argument est souvent utilisé en politique par les gens au pouvoir) : quand les gens rejettent en masse quelque chose qu’on veut leur faire avaler, il y a fort à parier que ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas compris. C’est précisément parce qu’ils ont fort bien compris qu’ils n’en veulent pas.

 

Voilà ce que je dis, moi !

 

 

 

mercredi, 03 avril 2013

DE LA DEFINITION DE L'ART

 

KORTH 6.jpg

CECI EST UN SUPERBE REVOLVER KORTH, CALIBRE 357 MAGNUM

(la cartouche de marque SJ, avec sa balle de 10,20g blindée, a des performances remarquables, en particulier la puissance d'arrêt)

***

Extrémisme démocratique, ai-je dit. Est-ce grave, docteur ? Pour parler franchement, je n’en sais rien, mais je crains le pire. Au moins, dites-nous en quoi ça consiste. Je vais essayer. L’extrémisme démocratique découle de ces trois lois : « Tout est beau. Tout est de l’art. Tout le monde est artiste ». Qui répondent à la même double question, trois fois posée : « Qu’est-ce qui est … ? / Qu’est-ce qui n’est pas … ? ». Tout tourne donc autour de l’épineuse question de la définition.

 

Vous l'avez remarqué : les termes qui désignent les arts se sont emplis d’une infinité de définitions nouvelles. Ainsi a-t-on progressivement appelé « musique » toutes sortes d’arrangements nouveaux des sons autrefois musicaux, toutes sortes de mauvais traitements infligés aux vieux instruments pour leur faire cracher leurs poumons (je n'ai pas dit "glavioter leurs éponges"), pour finir par faire entrer dans la catégorie « musique » tout ce que le monde réel est capable de produire de sonore.

 

Tout bruit (y compris les éructations et flatuosités qui accompagnent si dignement les repas les plus solennels) est potentiellement musical : tout dépend de ce que l’artiste en fera. La liste des matériaux utilisables en musique est devenue aussi longue qu’il y a de sons dans l’univers. Sans parler des sons artificiels ou synthétiques. John Cage n’a-t-il pas composé une pièce pour « piano-jouet » (la désopilante, écroulante Suite for Toy Piano, 1948) ? 

CAGE SUITE FOR TOY PIANO.jpg

JE N'AI RIEN INVENTÉ (je ne me permettrais pas) : LE PETIT JOHN CAGE, CLOWN DÉGUISÉ EN ADULTE RAISONNABLE, INTERPRÈTE LUI-MÊME, EN CONCERT, SA "SUITE FOR TOY PIANO"

IRRESISTIBLE, IS'NT HE ?

On a collé l’étiquette « roman », « poème », « littérature » sur toutes sortes de productions faites au moyen de mots assemblés de diverses manières. On a collé l’étiquette « art » sur des cailloux, des bouts de ficelle, des urinoirs, des poubelles. Voilà où on en est depuis déjà quelques décennies : « Qu’est-ce qui est de l’art ? Qu’est-ce qui n’en est pas ? ». Plus personne n’en sait rien. Plus personne, c’est-à-dire tout le monde. C’est ça, l’extrémisme démocratique.

 

Archimède clamait : « Donnez-moi un point fixe, et je soulève l’univers ». C’était fort bien vu. Seulement le problème, dans l’art actuel, c’est qu’il n’y en a plus aucun, de point fixe. Aussi longtemps que 100 % de la population sont convaincus que la Terre, centre de toute la création, est plate, que Dieu existe à n’en pas douter (la preuve, c’est qu’on tue en son nom), que le Roi est sacré, pas de problème : la définition coule de source. Elle s’impose. Dieu et le Roi peuvent dormir tranquilles.

 

Le problème survient dès le moment où vous accordez à l’individu la première parcelle de libre-arbitre, fût-elle la plus infime. Tant que l’homme est un « sujet », ça roule, Raoul. S’il devient « autonome », c’est là que les Athéniens s’atteignirent, que les Satrapes s’attrapèrent, que les Perses se percèrent. Le Grand Inquisiteur des Frères Karamazov l’a dit assez clairement : l’homme n’est pas fait pour la liberté, et n’a rien de plus pressé que de venir la déposer aux pieds d’un Maître qui le guide et, le guidant, le rassure, le protège et le valorise.

 

Tant que la définition des mots et des choses émane du Maître, à l’aise, Blaise : elle est homogène, compacte et ne souffre nulle discussion. Le monde a une figure, et les artistes sont là pour, chacun à sa manière, la figurer. Dit autrement : la célébrer.

 

Tant que la Vérité vient du Très-Haut, glisse, Régis. Le Très-Haut et le Roi donnent sa figure au monde que les artistes représentent. C’est d’ailleurs ça qu’on a appelé « l’art figuratif ». Et si l’art figuratif a disparu depuis le début du 20ème siècle, c’est bien qu’il y avait un problème avec la figure du monde, et avec sa définition. L’art abstrait a peut-être quelque chose à voir avec la mort de Dieu. Peut-être même avec la mort de l’homme. Une idée à creuser, non ?

 

Tant que les hommes ont été d’accord sur le tracé de la limite entre la réalité et l’art, facile, Mimile : être artiste est un métier qui s’apprend, patience et longueur de temps, et tout ça. Mais quand Antoni Tàpies est autorisé à écrire un livre intitulé La Réalité comme Art, rien ne va plus, trouducu. Si l’un est l’autre, où est passée la définition (voir le livre d’Elisabeth Badinter, justement intitulé L’un est l’autre) ? Fini, a pu, la définition. Parce que, s’il est vrai qu’il y a de « l’un dans l’autre », il est terriblement faux de soutenir que « l’un est l’autre », autre façon de soutenir que « tout est dans tout ».

TAPIES.jpg

L’amorce d’un débat au sujet de la définition survient-elle ? C’en est fini de la belle homogénéité, de la sainte unanimité, de la bienheureuse harmonie, du consensus universel. Soyons clair et net :

 

« Kaput, la définition = kaput, le sens ».

 

Qu’est-ce qui n’est pas de l’art ? Plus personne ne sait. Si tout son est « musical », tout matériau et tout geste « artistique », tout mot « littéraire », on ne sait plus à quel saint se vouer, parce que, des saints, il n’y en a plus. Faut-il les faire revenir pour autant ?

 

La définition a quelque chose à voir avec la notion d’immunité : la défense immunitaire d’un « soi » se met en route dès lors qu’elle repère un « non-soi » qui s’approche dangereusement. La définition, c’est la même chose. Elle dit : « Ceci est … / Ceci n’est pas … ».

 

Notons en passant que l’agonie de la définition coïncide (très grosso et surtout très modo) avec l’apparition du SIDA, qui est précisément une maladie de l’immunité. Il y a de la contamination dans l'air. Un contamination de ce qu'il y a d'humain dans l'homme. Sale temps pour la planète humaine.

 

Curieux endroit, pour parler du SIDA, vous ne trouvez pas ?

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

mardi, 26 mars 2013

DE L'ENFANTIN EN ART

 Nous avons vu qu’en musique, le monde, au 20ème siècle, est devenu une gigantesque cour de récréation, avec ses bacs à sable, ses coins « marelle » et ses mares aux canetons qui se prennent pour des cygnes. Mais les arts visuels, non seulement n’ont rien à envier aux arts de l’oreille, mais peuvent à juste titre leur en remontrer, même avec handicap au départ.

 

ART PAUVRE 10.jpgCar pour être juste, le petit merdeux (mettons, non, quand même, pas Boulez, Dutilleux ou Stockhausen, dont la statue intouchable trône désormais au milieu du paysage des « valeurs reconnues », mais Brice Pauset ou Ondrej Adamek, heureusement inconnus, mais que ça n’empêche pas d’avoir accès aux salles de concerts et aux antennes que Jean-Pierre Derrien, le snobinard de France Musique, Arnaud Merlin ou AnneCALZOLARI 3.jpg Montaron sont toujours prêts à leur ouvrir, pardon pour la longue parenthèse, on reprend son souffle) qui s’exerce à faire du vent avec un aspirateur ou du tonnerre avec des casseroles, ne s’adresse en général qu’à un public très clairsemé, comme le fait entendre le nombre impair des  mains qui claquent à la fin, ou tout disposé à tourner le bouton du poste dès la première menace proférée.

 

KOUNELLIS 1 IANNIS ART PAUVRE.jpgAlors, les arts visuels, maintenant. Ce n’est pas la première fois que je me penche avec une sincère tendresse et un intérêt non dissimulé sur les jeux turbulents des garnements qui parcourent en tout sens la cour de récréation de l’ « art contemporain ».

 

C’est chaque fois, pour mon esprit amolli par la déliquescence d’uneGILARDI 1 PIERO BIS.jpg civilisation finissante, une occasion de se rafraîchir dans une authentique jouvence, et pour ma sensibilité saturée des mille sensations dont l’assaille un univers urbain jamais avare de sollicitations séduisantes, de se replonger dans les vivifiantes sources matricielles de l’émotion esthétique la plus pure. Et je me dis, tout pénétré d’une évidence quasi biblique : « Ah oui, elle sort bien de la main des enfants, la Vérité ! ».

 

Je dirais même que le 20ème siècle artistique a fait entrer l’humanité dans un âge paradisiaque, que j’appellerai

 

« L’ÂGE DE L’ENFANCE DE L’ART »,

 

BEUYS 2.jpget qui n’est pas un paradis perdu, mais un paradis retrouvé, que dis-je : reconquis au nez de Dieu lui-même. Quand on regarde un enfant bassouiller (Balzac aurait dit « rabouiller ») dans une flaque d’eau pour faire traverser cet Atlantique à son paquebot de papier, on se dit que c’est lui qui a raison, que c’est lui qui mérite de guider l’univers sur la voie du salut.

 

Une bonne partie de la population qui se range d’elle-même en ordre deSORTIR.jpg bataille derrière l’étendard de l’ « art contemporain » a donc fait triompher, tout au long du 20ème siècle, « l’esprit d’enfance ». Mais on me demandera ce que c’est, l’esprit d’enfance.

 

VAUTIER 2.jpgL’esprit d’enfance ? C’est la fraîcheur de l’attitude face aux matières qui constituent le monde naturel ou synthétique, de la plus triviale et brute à la plus noble et quintessenciée. C’est les trésors d’ingéniosité déployés pour associer le plus originalement possible des objets n’ayant rien à voir ensemble (« La poésie, c’est quand les mots se rencontrent pour la première fois », disait le vieil Algonquin, Tatanka Ohitika, alias "Rêve de la pierre sacrée").

 

L’esprit d’enfance ? C’est l’inépuisable capacité d’émerveillementART FEMINISTE 3.jpg devant les inépuisables beautés qu’offre la vie de l’homme (et de la femme) jusque dans ses détails les plus familiers et intimes. C’est l’art qui se dissimulait dans le moindre de nos objets les plus quotidiens, et que le gamin qui veille au fond de chaque « artiste contemporain » sait spontanément élever à la dignité d’œuvre d’art.

 

CONCEPTUEL 2.jpgL’esprit d’enfance ? C’est finalement l’indéfectible et inaliénable pouvoir que possède l’enfant, de transmuter le vil plomb de la réalité en or massif imaginaire par la seule magie de la désignation : « Ceci est de l’art ».

 

N’est-il pas beau, ce délicieux caprice de l’enfant qui, quand il étaitREADY MADE 3.gif môme chargeait ses poches (et celles des ses parents) de toutes sortes de cailloux au simple motif qu’ils brillaient, et qui, parvenu à l’âge où rester enfant résulte d’un choix mûrement réfléchi, décide que la roue voilée de sa bicyclette devient une immortelle œuvre d’art dès lors qu’elle est dûment assujettie au tabouret quadrupède qui fut celui du grand-père au coin de la cheminée. La Vérité dégouline de la main de l'enfant enfin resté enfant.

 

La commune d’Achères, aux environs de Paris, était connue au 19ème siècle pour abriter les plus vastes « champ d’épandage » pour l’ « engrais humain », alors collecté par les « vidangeurs au tonneau ». Le complexe légumier d’Achères s’est enfin, au 20ème siècle, démocratiquement étendu à tout l’espace humain disponible, transformé par la magie de l’ « esprit d’enfance », en un seul gigantesque, démesuré

 

CHAMP D'EPANDAGE ARTISTIQUE. 

MANZONI 3.jpg

La réalité tout entière est devenue le réceptacle accueillant pour toutes les trouvailles, inventions, découvertes et expériences généreusement offertes à l’humanité par une foule de grands enfants qui s’amusent comme des fous à rivaliser d’imagination esthétique. C’est seulement à cette condition que l’humanité restera « à la pointe de la modernité ».

 

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 10 janvier 2013

MAIS QUELLE ETAIT LA QUESTION ?

Pensée du jour :

BLACKFOOT AATSISTA MAHKAN.jpg

AATSISTA MAKHAN, BLACKFOOT

« Un vent aigre balaie les rues. Le Soleil est entré dans le Bélier. Les enfants qui naissent sous ce signe feront bien d’éviter les tournois. L’astrologue les leur déconseille. C’est déjà le moment de fumer les vieux houblons et de planter la griffe d’asperge. Voire de semer la lupuline. Bientôt l’hirondelle va revenir ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

Est-ce que le pou se pose la question : « Est-ce que j’existe ? » ? Non, il se contente d’exister. S’il a une tête, on ne sait pas vraiment ce qu’il a dedans. Il vit sa vie de « pou de la reine, pou de la reine, pou de la reine, le roi Ménélas » (JACQUES OFFENBACH). Y a-t-il des reines chez les poux ? Cela n’est pas prouvé, à l’heure ou nous parlons. Cela n’empêche nullement d’affirmer que l’insecte est un problème. 

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Je crois qu’on peut savoir gré à ANDRÉ FRANQUIN d’avoir résumé le problème dans une page de Gaston Lagaffe. Gaston, qui doit s’occuper d’un petit tout un après-midi, raconte à celui-ci l’histoire suivante : « Chez les papous, il y a les papous à poux et les papous pas à poux. Mais chez les poux, il y a les poux papas et les poux pas papas. Donc chez les papous, il y a les papous à poux papas et les papous à poux pas papas ». Tout comme ça.

V11.jpg

On voit par là (merci pour la formule, monsieur VIALATTE) que la vie est une succession d’aiguillages, de subdivisions, de voies divergentes dont on se rend compte qu’on les a quittées quand on se trouve embarqués dans un bateau qu’on n’a finalement pas si librement choisi qu’on voudrait nous le faire croire. 

REICH 1 STEVE.jpg

Aiguillages ou pas, on est toujours sur ses rails. Pas vrai ?

 

 

En tout cas, voilà ce que je dis, moi.

 

 

lundi, 26 novembre 2012

AH, LES PETITS OISEAUX ! (1)

Pensée du jour :

MUR 10.jpg

"MUR" N°10

 

« Quand, pour la première fois du monde, l'homme se dressa sur ses pattes de derrière, encore tout chiffonné du plissement hercynien, et jeta un oeil hébété sur la nature environnante, il commença par bâtir ses villes à la campagne pour être plus près des lapins, des mammouths, des ours blancs et autres mammifères dont il était obligé de se nourrir. Il n'y avait en effet, si loin qu'il regardât, ni marchand de vin, ni charcutier; pas une boulangerie-pâtisserie, pas une boucherie hippophagique ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

GRIVE DRAINE.jpgMais je ne suis pas un ornithologue, moi ! Adressez-vous à OLIVIER MESSIAEN ! Un oiseau ? Mais je suis infoutu de l’identifier, que ce soit par son ramage ou par son plumage, c’est vous dire. Si, à la rigueur, je peux vous dire que l’oiseau qui, s’étant nourri et désaltéré tout le jour dans les « Marais », se précipite au-devant de la rangée de fusil qui l’attendent de pied ferme au pied de la « Garenne », quand le jour commence à baisser, que l’oiseau, disais-je, est une grive.

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Mais est-ce une « draine » ? Une « litorne » ? Une « musicienne » ? Une « mauvis » ? Ou alors, une grive « à ailes rousses », « dorée », « à gorge noire », « de Naumann », « obscure » ? Ce n’est pas moi qui vous le dirai. Pour jalonner cette note, des photos de ces neuf espèces de grives, dans l'ordre de leur nomination.

 

 

Chez les corbeaux, famille bien connue des croasseurs et desGRIVE LITORNE.jpg anticléricaux (mais qui est-ce qui salue encore, d’un « croâ, croâ » claironnant et bien ajusté, l’apparition soudaine d’une soutane noire, devenue rarissime dans nos rues, les curés préférant désormais le gris muraille pour se confondre avec le paysage, tels de vulgaires animaux mimétiques, tel le remarquable phasme, pour échapper à je ne sais quel châtiment que les abus de l’Eglise Romaine appellent à faire tomber dru sur leurs épaules ?).

 

 

GRIVE MAUVIS.jpgBon, le cas du Grand Corbeau est vite réglé, puisqu’il a à peu près disparu. Qui peut se vanter d’avoir entendu le si élégant et si raffiné praak-praak doucement émis du fond de sa gorge délicate ? Soit dit en passant, c’est un des rares oiseaux à maîtriser, en voltige aérienne, la figure dite du looping. Et qu’on ne me ramène pas la bête humaine, quoique goélandiforme, de RICHARD BACH pseudonymisée Jonathan Livingstone.

 

 

Je reviens à mes corbeaux (croâ, croâ) : allez me dire au premier coupGRIVE MUSICIENNE.jpg d’œil si c’est un freux, une corneille, un choucas. Le chocard et le crave, c’est plus facile. Pour le premier, il faut prendre de la hauteur, beaucoup de hauteur : il faut le voir sur certains sommets finir les miettes laissées par de drôles de créatures lourdement chaussées. Il faut aussi et surtout le voir dans ses séances époustouflantes de voltige aérienne le long de parois vertigineuses. De toute façon, il est le seul dans la famille à avoir le bec jaune. Quant à l’autre, avec son bec rouge (enfin presque), je l’aurais sûrement repéré si j’en avais vu un. Mais il est comme le curé en soutane, il se fait rare.

 

 

GRIVE A AILES ROUSSES.jpgDonc je ne suis pas ornithologue. Cela ne m’empêche pas de bien m’amuser en lisant des ouvrages traitant des oiseaux. Pas parce que les spécialistes feraient de l’humour au lieu de faire de la science, non : juste à cause de leurs transcriptions des chants d’oiseaux.

 

 

Le réservoir des onomatopées qu’ils produisent semble inépuisable, àGRIVE DOREE.jpg croire qu’il est placé juste en dessous du tonneau sans fond, pour recevoir tout ce  que les Danaïdes ont été condamnées à y déverser sans fin, au futile motif qu’elles avaient zigouillé (toutes sauf une) les cinquante fils d’Aegyptos la nuit de leurs noces.

 

 

GRIVE GORGE NOIRE.jpgLa mythologie précise que les crimes eurent lieu après. Seul Lyncée en réchappa, parce qu’il n’avait pas osé faire sauter le bouchon du goulot de la vierge Hypermnestre. Les 49 autres profitèrent honteusement de l’irrésistible somnolence à laquelle bien des hommes cèdent, après, pour leur enfoncer en plein cœur la longue épingle que le fourbe Danaos avait fournie à chacune pour qu’elle la dissimule dans sa chevelure. Moralité, sauf exception, la femme est sans pitié, contrairement à ce qu’une vaine opinion colporte complaisamment.

 

 

Reste des tombereaux entiers d’onomatopées, supposées parGRIVE DE NAUMANN.jpg d’estimables scientifiques traduire en sonorités françaises les sons plus ou moins mélodieux que le gosier de tout oiseau est en mesure de produire. Il va de soi que la marge d’erreur sera non négligeable, due à l’irréductible part de subjectivité liée à la réception de la sensation auditive.

 

 

GRIVE OBSCURE.jpgLe bon peuple n’a aucune idée de la subtilité, de l’ingéniosité et de l’imagination quasiment poétique qu’il faut déployer pour traduire, en général, n’importe quel bruit, et en particulier, pour les ornithologues, le chant des oiseaux de nos campagnes, de nos montagnes et de nos riantes cités.

 

 

Pour traduire en trek-trek ce qu’il entend au voisinage de l’outarde canepetière, en un nasal et monocorde quin-quin-quin le signal émis par le torcol foumilier, en une alternance de croo-croo et de touissik produits lors de la croule par la bécasse des bois. Pour rendre avec exactitude et minutie le son presque batracien (un karrac-karrac-karrac-kirri-kirri-kirri-krèc-krèc-krèc) de la rousserolle turdoïde.

FORT 1 BERNARD.jpg

LE DISQUE DE BERNARD FORT EST SORTI EN 1997 

Le monde du volatile sauvage est un trésor inépuisable, où la merveille voisine avec la surprise, où le chef d’œuvre tient l’étonnant par la main.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.


 

vendredi, 05 octobre 2012

REVENIR AU BEL CANTO ?

Pensée du jour : « Si les élections permettaient vraiment de changer les choses, il y a longtemps qu'elles auraient été interdites ».

BERTOLT BRECHT

 

 

Qu’est-ce que je reproche, principalement, à la « musique contemporaine » ? Pourquoi, en fin de compte, me suis-je détourné de la création la plus actuelle, dont j’ai si longtemps été un adepte ô combien fidèle, voire exalté, et que, pour cette raison, je connais assez bien ? C’est très simple : je lui reproche de ne plus pouvoir être chantée par n’importe qui, n’importe où, dans la rue, dans la voiture, sous la douche. Une musique produite par un corps humain.

 

 

J’en ai tiré un enseignement, qui ne vaut certes que ce qu’il vaut, mais qui vaut aussi tout ce qu’il vaut : ce qui n’est pas CHANTABLE en dehors d’un "bac + 12" obtenu au Conservatoire Supérieur, même adoubé par les pairs, même validé par l’institution, même décrété par les autorités médiatiques, n’est pas de la musique humaine. C’était devenu pour moi une conviction. J’en ai fait un principe. Ai-je tort ? C'est possible.

 

 

Je me suis dit un jour que c’était bizarre, en définitive. Quoi, pendant tant de siècles, des gens extrêmement savants ont composé de la musique dans l’unique but de procurer du plaisir à ceux qui devaient l’écouter ? De leur flatter l'oreille ? Et puis un jour l’artiste, promu chercheur scientifique, a décidé, du fond de ce qui était devenu son laboratoire, que l’auditeur devait désormais se plier à sa volonté à lui ? Au nom du Progrès ? Au nom de l’Histoire (qui forcément avance, comme on sait) ?

 

 

Et ne venez pas me rappeler que BEETHOVEN avait déjà fait le coup (« Est-ce que je me soucie de vos boyaux de chat, quand l'inspiration me visite ? », lançait-il furibond à SCHUPPANZIGH, le violoniste qui a créé la plupart de ses quatuors, et qui se plaignait de certaines difficultés). Chez BEETHOVEN, qu'on se le dise, ça chante sans arrêt, même si, dans ses oeuvres pour voix (prenez Christus am Ölberg, par exemple) l'écriture va toujours se percher assez haut.

 

 

L’injustice faite à l’artiste par la société bourgeoise, dès ce moment, révulse les bonnes âmes. Le premier « Salon des Refusés » remonte à 1863, la première exposition impressionniste à 1874, la première édition des Poètes maudits, de PAUL VERLAINE (« pauvre lélian ») à 1884. Une trouvaille digne d'un grand publicitaire, entre nous, ce "maudits".

 

 

 

Le fanatisme de la technique fonctionne comme une idéologie, dont la propagande s’empare pour mieux s’emparer des esprits. JULES VERNE laisse libre cours à son enthousiasme technophile dès l’année 1863 (Cinq semaines en ballon). GUSTAVE EIFFEL, avec le même enthousiasme, envahit le ciel de Paris en 1888.

 

 

Il n’est plus possible de ne plus courber la tête devant le Dieu Progrès. L’inventeur devient la figure privilégiée du bienfaiteur de l’humanité. Ce qu’il trouve, du moment que c’est nouveau, ne saurait apporter que le Bien. L’innovation fait figure de sacrement laïque. Le brevet industriel devient l’emblème privilégié et prioritaire du Génie Humain.

 

 

Et ce qui vaut dans les techniques et l’industrie se transporte sans difficulté dans les arts : musique, peinture, sculpture, poésie, tous les arts sont sommés de se soumettre à la dictature de l’innovation. Il faut, sous peine de disparaître dans les profondeurs abyssales de la poubelle du passé, adhérer au mouvement qui porte irrésistiblement l’humanité vers le PLUS, selon le précepte bien connu : « Plus qu'hier et bien moins que demain ».

 

 

C’est en 1896 qu’ont lieu les premiers « Jeux Olympiques » modernes, qui proclament fièrement : « citius, altius, fortius » (plus vite, plus haut, plus fort, ça interroge salement, je trouve). Ce que le très vulgaire (je parle du vulgarisateur) FRANÇOIS DE CLOSETS traduira plus tard par « toujours plus ! ».

 

 

C’est quand j’ai compris la logique de cette Histoire que je me suis mis à regimber, à renâcler, à me soustraire à la musique "contemporaine". Cela m’a demandé un effort épouvantable. Pensez que j’ai été nourri au lait de l’Humanisme et des Lumières. L’humanisme de RABELAIS, de MONTAIGNE, de RONSARD. Les Lumières, principalement, de DIDEROT et de ROUSSEAU. Le Progrès, oui, parlons-en, du "Progrès".

 

 

Ajoutez, je veux bien, la prise de la Bastille et l’Egalité des citoyens devant la loi. C’est tout cet édifice qui est tombé en ruine, quand j’ai compris la logique de cette Histoire. Cette logique d’une certaine idée du « Progrès ». Je ne m'en suis pas remis. La faute à HANNAH ARENDT, JACQUES ELLUL, PHILIPPE MURAY et quelques autres lectures, beaucoup trop tardives.

 

 

L’artiste est donc sommé de faire du neuf, sous peine de ne pas exister. Le nouveau ne sera plus jamais fortuit : le nouveau est désormais le Saint Graal. Le but ultime. La Pierre Philosophale. Depuis, on n’arrête plus. On est harcelé par le nouveau. Quelque chose qui est là, du seul fait qu’il existe, est désormais vieillot. Ce qui est d’hier ne saurait être d’aujourd’hui. Ce qui est d’"avant" est interdit de "maintenant". Périmé. Sans parler du mouvement de "dynamisme" économique imprimé par l' « obsolescence programmée », théorisée dans les années 1920.

 

 

C’est sûr, je réhabiliterai un jour prochain ce qu’un « vulgum pecus » nuisible et inconscient appelle un « stéréotype ». Car si l’on y réfléchit un moment, qu’est-ce qui nous impose de « changer » (notez la construction « absolue », je veux dire le verbe sans complément) ? « CHANGEZ », entend-on de toute part. En même temps, il est amusant d'entendre le refrain exactement contraire : « SOYEZ VOUS-MÊME » ("venez comme vous êtes", serine une publicité).

 

 

J’ai oublié le jour où est apparue, dans le ciel des démocraties européennes, l’exigence de « réforme ». Mettons trente ou quarante ans. « La France est incapable de se réformer », entend-on constamment. Mais réformer quoi ? Dans quel but ? Avec quelle intention ? Qui le sait ? Personne, je crois bien. Qu’est-ce qu’elle recouvre, finalement, cette haine du stéréotype ? Peut-être bien la haine de ce qui est, vous ne croyez pas ? Mais c'est vrai : comment pourrait-on aimer ce monde, tel qu'il est ?

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

samedi, 11 août 2012

METEO DES JEUX

Pensée du jour : « Les Sioux ont l'accent chinois, leur manière de vivre est celle des Tartares.» (ABBE FLEXIER DE REVAL, 1735-1802).

 

 

Résumé : nous disions donc : « La chaussure, voilà l’ennemi ».

 

 

C’est ce que se disait DENIS DUFOUR, compositeur attachant que j’ai rencontré du temps où je ne manquais rien de ce qui se faisait en musique contemporaine. Lui, son truc, c’était la musique électro-acoustique. Ne pas confondre avec HUGUES DUFOURT, adepte d’une musique moins contemporaine, puisqu’elle se joue avec de vrais instruments fabriqués par des ébénistes. DUFOUR 1 DENIS.jpg

 

 

 

DENIS DUFOUR marche pieds nus, qu'on se le dise (Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, extraordinaire texte de KNUT HAMSUN, Dix portraits, …). Parce que, m’a-t-il dit – et ce n’est sans doute pas dénué de vérité –, ne pas avoir de semelle permet de ressentir des vibrations physiques que ne perçoit pas l’oreille. L’avantage, c’est que, vu la couleur de ses pieds le soir, il ne risque pas qu’un quelconque lèche-bottes vienne lui faire des compliments sur sa musique, puisqu’il n’en a pas, de bottes. Le pied nu constitue, en quelque sorte, le fin du fin du retour à la nature.

 

 

Ce qui prouve par a + b que l’homme, en inventant la chaussure, s’est séparé de la nature il y a 4000 ans, quand il interposa entre lui et le sol une lamelle de cuir plus ou moins épaisse. De plus en plus perfectionnée. Pour s’épargner les injures faites à son pied par les cailloux du chemin. Nous sommes devenus trop sensibles, voire hypersensibles.

 

 

 

Un rien (qu’est-ce que 15 cm de neige ?) nous pousse à l'émeute contre nos dirigeants. Plus nous avons perfectionné et accru notre confort, plus nous sommes devenus vulnérables, craintifs et vindicatifs. Peut-être voudrions-nous reconstituer les conditions de la maternation originaire. Attendons-nous, dans ce cas, à quelques déconvenues funestes.

 

 

Ce qui prouve accessoirement que les travaux d’Hercule (qui vainquit Antée, en le privant de tout contact avec la Terre, qui n'était autre que sa mère Gaïa, et on considère encore aujourd'hui que ce fut un progrès) HERCULE ANTEE JEAN DE BOLOGNE.gif ont accéléré le mouvement de rejet de la Nature. A mon avis, Hercule avait  des chaussures aux pieds. Ah, qui dira le joli temps des écuries d’Augias (« les deux pieds les deux mains dans la merde ») ? Hydre de Lerne, reviens parmi nous !

 

 

Cela nous en dit long, soit dit en passant, sur les chances que l’homme industriel a de se réconcilier avec sa planète. C’est vrai que j’ai perdu pas mal de mes capacités à lover mes côtes et mes vertèbres entre les cailloux et les racines des terrains de camping. J’ai noté, en particulier, que les racines de pin sont résolument invincibles.

 

 

C’en est même un brin paradoxal, vous ne trouvez pas ? Ben oui, quoi, plus nous nous fleurbleuisons, plus nous nous écologisons, plus nous nous renaturisons sous l'égide de MAMÈRE NOËL (je ne peux pas croire que les parents ne lui ont pas joué un tour en lui donnant ce prénom) et CECILE DUFLOT (qui ne s’est pas risquée à accepter un poste de ministre de la Nature), plus nous avons peur que la Nature nous fasse du mal (tsunami, éruption, cyclone …).

 

 

Mais allez marcher pieds nus sur les trottoirs de nos villes, aujourd’hui ! Nos trottoirs rendraient indispensables et obligatoires, d’une part, le pédiluve (dans le temps, on disait « bain de pieds »), du fait de la caniphilie urbaine généralisée, et d’autre part la boîte à pharmacie, pour réparer les dégâts commis par les débris de bouteilles de bière. Il faut savoir que la merde de chien et la bouteille cassée sont le principal apport de la modernité au trottoir urbain macadamisé. Vivre sans chaussures en milieu aussi hostile, c’est accepter de vivre dangereusement. La Nature s'éloigne de l'homme inexorablement. A moins que ce ne soit l'inverse.

 

 

N’empêche que, quoi qu’on dise, courir sans semelle entraîne une flexion accrue : l’amorti en devient articulaire ! Je n'invente rien. Courir pieds nus permet d’éviter les ampoules et de limiter les risques de tendinites. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est scientifique. Les mêmes scientifiques affirment que si la fantaisie vous prend de vous mettre au « freedom running », mieux vaut y aller doucement.

CHAUSSURE 32 FIVE FINGERS.jpg

 

 Progressivement. Fiez-vous aux marques : elles ont d’ores et déjà inventé la chaussure minimaliste, semelles fines comme des crêpes et « five fingers » pour ganter les doigts de pieds.

 

 

PIED 2.jpg

MAIS POUR CE PIED, QU'EST-CE QU'ON FAIT, DOCTEUR ?

ON APPELLE CELA POLYDACTYLIE : IL Y A ENCORE PLUS FORT

 

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SEIZE ORTEILS A LA NAISSANCE : QUI DIT MIEUX ?

 

En six ou douze mois, quand vous aurez usé huit paires de semelles fines et de « five fingers », vous pourrez passer au « barefoot » et au « freedom running ». Les marques ont même inventé les « barefoot shoes ». Comme disait ALEXANDRE VIALATTE, « le progrès fait rage ».CHAUSSURE 16.jpg

 

 

Vous pourrez même, suprême raffinement, vous passer de toute chaussure. Après avoir, nous l’espérons, contribué de vos deniers au redressement productif des entreprises spécialisées dans la semelle fine et dans la « barefoot shoe ». Pendant six à douze mois. Mais restez prudent. Oui, à ce moment, il est alors possible d’effectuer quelques sorties pieds nus. Et rendez-vous compte, vous verrez de la corne, carapace naturelle de la peau, se développer autour du pied afin de le protéger. Comme disait ALEXANDRE VIALATTE : « On n’arrête pas le progrès : il s’arrête tout seul ». C’est fort bien dit.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

dimanche, 11 mars 2012

C'EST PARTI POUR PATA KOKOKO

DECLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DES NOTES

 

Pour qu'une nuit du 4 Août perpétuelle règne sur la musique.

 

 

Résumé : les concerts de musique contemporaine ressemblent souvent au bac à sable dans lequel les enfants jouent. 

 

 

Et la maladie musicale commence quand on prend la décision de considérer TOUS les sons comme des sons musicaux, y compris ceux qu’on obtient en frappant le bois du piano avec le doigt ou en frottant l’archet sur les cordes, mais entre le chevalet et le cordier. Et je ne parle pas des bruits de l’usine, de la gare de chemin de fer ou de la circulation automobile. Mais l'homme n'est pas fait pour croire que la dissonance, la stridence, le cri, constituent un milieu où la vie soit possible ou désirable. Et pourtant, je l'ai cru très longtemps.  

 

 

Je me rappelle, il y a longtemps, l'excellent pianiste BRUNO CANINO expliquer doctement (c'était dans les coulisses de l'ancien festival « Musique Nouvelle », longtemps voulu et porté par DOMINIQUE DUBREUIL), qu'on devait légitimement considérer comme de la musique à part entière le son produit par le choc de l'index sur l'ivoire d'une touche, sans pour autant que la note fût produite. Et comme tout le monde, je restais là bouche bée à me laisser bourrer le mou.

 

 

C'est sûr qu'il y a quelque chose de fascinant dans le fait d'être présent au moment de la naissance de quelque chose de Nouveau : l'impression d'être dans le flux du mouvement, en position d'éclaireur, en quelque sorte. Et le groupe des amateurs "éclairés" qui gravite autour de ce Nouveau, qui fonctionne un peu comme une secte, pratique en permanence l'autolégitimation réciproque, dans une espèce de narcissisme enivrant. J'étais enivré. Je trouve aujourd'hui qu'il m'a fallu bien trop de temps pour être dégrisé.

 

 

 

Bien du temps pour me dire qu'il s’agissait surtout, dans la musique contemporaine, d’en finir une fois pour toutes avec l'idée même de différence. En l'occurrence, la différence entre le son musical et le bruit. Ce qui revient à éliminer la différence entre la réalité et l'art. Et beaucoup plus généralement, tout ce qui peut passer pour le marqueur d'une différence.  L'idée, c'est d'abolir. Peu importe ce qui est établi : il faut l'abolir, du seul fait que c'est établi.

 

 

Car, mes bien chers frères, les quelques diplodocus qui persistent à voir et à faire des différences (entre les choses, entre les êtres, entre les sexes, par exemple), ils se laissent leurrer et duper par des apparences trompeuses, ils sont dans l'arbitraire le plus total, qui est évidemment injustifiable, donc à abolir sur-le-champ. Comme le proclamait fièrement le titre d'un film : « L'homme est une femme comme les autres » (1998).

 

 

Pour revenir à ONDREJ ADAMEK, voici le descriptif présenté par ARNAUD MERLIN, de France Musique, pour introduire sa composition(c’est authentique, évidemment) : « [Le compositeur] s’est intéressé au son des gaines électriques qui se trouvent à l’entrée d’air des aspirateurs, lorsqu’on les allume et éteint rapidement ». Quel sérieux ! Et quel comique ! L’auditeur, quelque bonne que soit sa volonté, ne va peut-être pas au concert pour entendre évoquer le bruit de l’aspirateur.

 

 

La peinture contemporaine ne souffre pas d’une autre maladie que la musique : faire de la matière de son art l’objet même de son art. Renoncer à représenter pour mettre au premier plan les couleurs, les lignes, la géométrie, c’est, qu’on le veuille ou non, transformer le salon en atelier ou, si vous préférez, faire manger les invités sur la table de la cuisine.

 

 

La partie transgressive des arts contemporains, elle est là : abattre les murs, abolir les frontières, faire table rase de toute discrimination (au sens d’ « action de distinguer deux choses différentes »). Le dictionnaire a même fait du mot « discrimination » un péché grave. Et en a profité pour le transférer sans prévenir de la sphère intellectuelle, où savoir distinguer les différences est absolument essentiel, au registre moral, où l'on tombe aussitôt dans la marmite de l'enfer américain : « Love it, or leave it » (réentendu avec GEORGE W. BUSH). Tu m'aimes, ou tu me quittes.

 

 

C’est dire que ça ne touche pas seulement les arts, mais les esprits. La non-discrimination est devenue un principe sacré : il est désormais interdit de faire des différences. On comprend que la confusion la plus complète soit devenue la norme. La musique contemporaine ne saurait échapper à la destruction sciemment accomplie des différences. Le "bien" est différent du "mal" ? Cette différence, qu'on se le dise, est en elle-même un mal. Mais dans ce cas, quel est le "bien" qui s'oppose à ce "mal" ?

 

 

Quand ARNOLD SCHÖNBERG invente le dodécaphonisme (début du 20ème siècle), il entend mettre à bas l’injustice que constitue le règne de la TONALITÉ. Le dodécaphonisme sonne comme une moderne « Déclaration universelle des droits des notes » : « Toutes les notes de la gamme naissent libres et égales en droit ».

 

 

ARNOLD SCHÖNBERG décrète à lui tout seul l’abolition des privilèges des tonalités. Il fait sa « Nuit du 4 août ». Fini le règne despotique du Ré Majeur, fini le discrédit dont a toujours souffert le pauvre Si Bémol mineur. Le cubisme en peinture et le dodécaphonisme en musique accomplissent la prophétie de l’Internationale, d’EUGENE POTTIER et PIERRE DEGEYTER : « Du passé faisons table rase ».

 

 

Ce qui n’a pas pu être accompli dans l’ordre politique aura été accompli dans l’ordre esthétique. Il y a de la guillotine, du Robespierre et du Comité de Salut Public dans le dodécaphonisme. Il y a du FOUQUIER-TINVILLE (l'accusateur public de 1793) dans ARNOLD SCHÖNBERG.

 

 

Puisqu'on ne peut pas subvertir l'infrastructure, on va s'en prendre au sens, qui est la superstructure, muette par définition (je ne cite que par commodité quelques vieilles catégories marxistes). Quand les gens ne comprendront plus rien au monde dans lequel ils vivent, on pourra dire que la mission est accomplie, car on pourra faire d'eux ce qu'on veut. Il n'y aura effectivement plus aucun critère de jugement. Il s'agit, en définitive, d'abolir la capacité de jugement de l'individu. 

 

 

La poésie ne reste pas à l’écart de ce joyeux élan destructeur, auquel le mouvement Dada apportera sa touche primesautière en donnant la nouvelle recette du poème : découpez chaque mot d’un article de journal, fourrez-le tout au fond d’un sac, tirez un à un les mots en les inscrivant scrupuleusement au fur et à mesure, et vous avez votre poème.

 

 

Car on ne le dit pas assez : la syntaxe, en faisant régner l’ordre des mots, fait régner la terreur, car elle donne un sens. C’est d’un arbitraire totalement injustifié. Rien que le mot « ordre » aurait dû depuis longtemps faire jeter celui des mots à la poubelle. Après tout, pourquoi le sujet se met-il avant le verbe ? Certains sont même allés plus loin, tel le doux HUGO BALL en 1916 : « te gri ro ro gri ti gloda sisi dül fejin iri » (GEORGES HUGNET, L'Aventure Dada, Seghers, 1971, p. 138).

 

 

Que ce soit dans la poésie, dans la peinture ou dans la musique, le 20ème siècle aura donc été celui, non de la démocratie, mais du démocratisme à tout crin, de l’égalitarisme à toute vitesse, de l’abolition forcenée de toute HIERARCHIE des valeurs. Guillotiner ce qui a l’audace de dépasser. De même que tout individu a autant de droits que tout autre, chacun des éléments d’expression artistique a strictement la même valeur que tout autre.

 

 

Ce qui n’était pas de l’art devient de l’art, celui qui n’était pas artiste devient artiste, il n’y a pas de raison.

 

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

 

 

 

samedi, 10 mars 2012

TU TRAÎNES SUR PATA KOKOKO !

Résumé : la musique (contemporaine) d’ONDREJ ADAMEK, l’autre soir sur France Musique, a déclenché chez moi une crise de fou-rire.  

 

En disant que cette « musique » me fait rire, je suis absolument sincère. C’est ainsi que j’ai effectivement réagi en l’entendant l’autre soir. Nul doute qu’on assiste à un rare déploiement de compétences supérieures. Nul doute que les musiciens sont de grand talent. Nul doute que le compositeur atteste d’une ingéniosité sans pareille.  

 

Nul doute qu’il s’est livré aux plus savants calculs pour aboutir à la « musique » que l’on entend, excessivement complexe, précise et rigoureuse. Mais qu’on me pardonne, tous ces efforts pour déboucher sur un univers de sons qui relèvent du GAG, j’avoue que tout ça dépasse mon faible entendement.  

 

Ce qui me semble le plus drôle, dans l’affaire, c’est évidemment l’esprit de SÉRIEUX avec lequel tous les acteurs de cette comédie se prêtent au spectacle. Ce serait beaucoup moins drôle si tous ces gens avouaient qu’ils « jouent », comme des enfants dans le bac à sable. Mais visiblement, ça ne rigole pas. On n’est pas chez des plaisantins.  

 

Dites si vous voulez à PIERRE BOULEZ qu’il bassouille dans la gadoue parce qu’il en est resté au stade sadique-anal, mais un conseil, fichez vite le camp avant qu’il vous en retourne une bonne dans la figure. Sa Majesté BOULEZ le prendrait pour un crime de lèse-soi-même. Bon, comme il se fait vieux, la gifle manquerait de force, mais allez savoir, le vieillard est peut-être encore vert … 

 

Si la musique contemporaine a le « vent en prout », si j’ose dire, c’est parce que les morceaux ne durent pas longtemps. L’auditeur sait que sa souffrance sera brève. Le problème, c’est qu’il a du mal à repérer le moment où c’est fini, il est obligé d’attendre que le violoniste, après avoir levé l’archet de son instrument, laisse tomber le bras, et que le clarinettiste ait posé le sien sur ses genoux.  

 

En revanche, la musique contemporaine, c’est très pratique pour les fausses notes, les attaques à contretemps : personne ne s’en aperçoit. Ici, il est à jamais impossible de dire, comme Cornélius : « Arthur, voyons, tu traînes sur pata kokoko ».  

 

Je me rappelle, parmi les innombrables concerts de musique contemporaine auxquels j’ai assisté, une soirée passée à écouter l’ensemble appelé « Percussions Claviers de Lyon ». Le côté spectaculaire de la chose, c’est l’attitude des quatre musiciens : les mailloches en mains, ils ont adopté la position du guépard qui, tous muscles bandés, se prépare à bondir sur sa proie, se guettent les uns les autres dans l’attente, puis précipitent sur un vibraphone les notes de la partition, en gestes comme éjaculés brutalement de leurs bras. Ils sont tellement « au taquet » qu’il ne viendrait à personne l’idée d’accuser qui que ce soit d’avoir fait une faute de lecture.  

 

De la musique contemporaine, on peut dire que j’en ai bouffé. Il y a des témoins. Demandez à J. ce qu’elle pense de Jesus blood never failed me yet, de GAVIN BRYARS. Soixante quatorze minutes quarante-trois secondes avec cette même phrase serinée, d’abord par la bouche édentée et la voix éraillée d’un vrai vagabond, puis par celle, bien mieux faite, mais plus fracassée, du grand TOM WAITS 

 

Il faut dire que J. ne tenait aucun compte de la richesse de l’orchestration de cette deuxième version (1993), qui comporte pas moins de 51 instrumentistes, augmentés de 13 voix chorales. On ne pourra pas dire que le compositeur s’est moqué de l’auditeur. Mais cela dit, il faut comprendre l’agacement de J., qui était alors en train d’apprendre par cœur Mam’selle Clio, de CHARLES TRENET. 

 

 

Le problème de la musique contemporaine, et peut-être la raison pour laquelle elle ne pénètre pas dans le public aussi aisément que les succès de BRITNEY SPEARS, AMY WINEHOUSE ou LADY GAGA, c’est qu’il s’agit moins de faire de la musique que de produire des sons.

 

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

 

A suivre.   

 

 

 

vendredi, 09 mars 2012

KROMDA RIPALO PATA KOKOKO

« ARTHUR, TU TRAÎNES SUR PATAKOKOKO »

 

 

Tout le monde civilisé connaît évidemment, j’espère, la chanson chantée par les jeunes éléphants de Célesteville, sous la direction de Cornélius le sage :

 

Patali di rapata,

kromda kromda ripalo,

patapata kokoko.

 

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Pas besoin de mettre la musique, sans doute, tout le monde a ça dans l’oreille. Même que le vieux Cornélius reprend l’inattentif en l’apostrophant : «  Arthur, voyons, tu traînes sur pata kokoko ». On reconnaîtra que ce cantique traditionnel de l’église enfantine vaut celui que chantent en cadence cinq nègres, dans la pirogue où Tintin (Tintin au Congo, p. 35, pour être précis) et le Père Blanc, des Missions Africaines, sont montés :

 

U-élé-u-élé-u-élé

ma-li-ba ma-ka-si.

 

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De patakokoko à la musique contemporaine, vous avez déjà compris qu’il n’y a qu’un pas à franchir, et que telle est bien ici mon intention : le franchir. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois.

 

 

ONDREJ ADAMEK était à l’honneur, lundi 5 mars, sur France Musique. Compositeur sympathique, jeune au demeurant, ONDREJ ADAMEK est sûrement quelqu’un de très savant, comme tous les musiciens qui jouent sa musique. Mais il y a dans cette musique quelque chose qui me chiffonne : je vois, comme s’ils étaient devant moi, des gens assis dans des tenues très protocolaires, certes, mais très « chic ».

 

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Ils sont tous sûrement très savants. Comme dans un salon distingué, le soir d’une réception mondaine, ils échangent des propos sensés sur un ton, feutré ou non, mais toujours élégant, en trempant parfois leurs lèvres dans leur coupe de champagne. Nous sommes dans une cérémonie, un concert, comme on dit. Il y a du cérémonial dans tout concert.

 

 

Et ces gens très distingués, au concert, ne parlent pas, mais ils émettent des sons en agissant sur des instruments dits de musique, en soufflant, en frappant, en frottant. Ce qui me saute aux yeux, c’est l'OPPOSITION entre ce que je vois et ce que j’entends. Et ce qui me prend, tout d’un coup, c’est une irrépressible envie de RIRE. La scène m’apparaît soudain du plus haut comique.

 

 

Je vais essayer de transcrire la conversation : « Pouet pouet ! – Chhhh ! – Zing ! – Hin Hin Hin ! – Ouah ? – Prout ! – Cui cui ! – Patakokoko ». Et ça dure un quart d’heure, peut-être même plus. A la fin, tout le monde est à bout d’argument, donc « le combat cessa faute de combattants ». Alors, pour les départager, le public applaudit. Je caricature, évidemment, mais je vous assure que c’est à peu près ça. Ce fut un concert de musique contemporaine.

 

 

Ça me fait penser à une très ancienne bande dessinée de SEMPÉ, où l’on voit, pareil, mais autour d’une table, des messieurs très sérieux, guindés, émettre des onomatopées du genre : « Grimph ! Chlouch ! Flaps ! », et comme ça pendant un bon moment. Tout le monde a la mine grave.

 

 

Jusqu’à ce que l’un d’eux sorte : « Zgrouitch ! ». Là, tout le monde se met à sourire et à applaudir. La dernière image montre des murs de ville couverts de gigantesques affiches vantant les mérites du dentifrice révolutionnaire « Zgrouitch ». L’avant-dernière image de la bande a d’abord montré les dignes messieurs qui sablent le champagne pour fêter la mise au point finale de la campagne publicitaire du dit dentifrice. Voilà.

 

 

La musique d’ONDREJ ADAMEK, c’est l’équivalent d’un dessin humoristique de SEMPÉ : on dirait qu’il s’agit de déclencher le rire de l’auditeur par l’opposition, disons même l’incompatibilité entre, d’une part, le visible, l’immense sérieux et l’incomparable professionnalisme d’une vingtaine de musiciens passés par les plus hautes écoles et les plus prestigieux conservatoires, et d’autre part, l’audible, j’ai nommé le GAG AUDITIF permanent que constituent les sons qu’ils font sortir de leurs instruments. Cela dit, je ne suis pas sûr qu’ONDREJ ADAMEK serait content d’apprendre qu’il a composé de la musique comique.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.

 

 

samedi, 22 octobre 2011

MUSIQUE, POESIE ET SALMIGONDIS

Chapitre avec quelques interrogations et plusieurs avis tranchés (ou : « Quelques modestes considérations sur la vie des arts dans le deuxième 20ème siècle »). Où je règle des comptes avec certains goûts que j’ai cru avoir et des engouements adventices que j’ai crus principaux, dans la musique contemporaine, dans la poésie contemporaine, dans l’art contemporain (non : là, il faut dire « arts plastiques »).

 

 

J’ai donc dit tout le mal que je pensais de certaines façons de faire de la musique aujourd’hui (et de la musique d’aujourd’hui, en plus). Cela ne m’a pas empêché de garder quelques dilections, voire prédilections, comme les « répétitifs » américains (PHILIP GLASS,  TERRY RILEY, STEVE REICH), quelques compositeurs français d’une génération plus jeune (GERARD GRISEY, OLIVIER GREIF, tous deux de ma génération, tous deux décédés, en 1998 et 2000).

 

 

Ce qui me frappe, c’est que, plus souvent que vers des auteurs, je me tourne vers des œuvres particulières, volontiers atypiques. Par exemple, connaît-on le Requiem de JACQUES REBOTIER, pièce augmentée d’un texte de VALÈRE NOVARINA intitulé « Secrète », et dit par un enfant ? Le tout est formidable. Puisque j’en suis au religieux, je citerai le poignant Requiem for a young poet, de BERND ALOIS ZIMMERMANN, le plus ancien, mais grandiose War requiem, de BENJAMIN BRITTEN, la Messe un jour ordinaire de BERNARD CAVANNA, la Liturgie pour un Dieu mort, de CHARLES RAVIER. Je n’en finirais pas, finalement, je m’en rends compte.

 

 

Donc, ceux qui suivent ce blog ont compris, après une demi-douzaine d’articles consacrés au sujet, que j’ai été un « adepte », un  cinglé de musique contemporaine, jusqu’au déraisonnable et jusqu’à l’absurde. Je ne le suis plus. Ce fanatisme m’a passé (mais avouez qu’il y a des fanatismes plus meurtriers). J’ai indiqué quelques-uns de ces engouements. J’en indiquerai quelques autres à l’occasion.

 

 

Si j’en suis revenu, c’est sûrement pour des raisons. Cette remarque me semble frappée au coin du bon sens, non ? La première qui me vient est la suivante : je me dis que j’aimais la musique contemporaine moins parce qu’elle était belle, que parce qu’elle était contemporaine. J’aimais ce qui se passait dans le présent parce que c’était mon présent. De la même manière, j’étais à l’affût de tout ce qui se présentait comme actuel devant moi, parce que ce qui était de mon temps, c’était un peu moi, j’imagine.

 

 

AU SUJET DE LA POESIE

 

 

Il en fut ainsi pour la poésie. J’exerçais quelque responsabilité dans le  comité de lecture d’une revue, cela m’offrait à lire toutes sortes de poèmes (et de « pauhèmes ! » aussi, il faut bien le dire) que des gens infiniment divers mettaient en forme sur des feuilles de papier blanc. Incroyable ce que ce genre d’activité donne l’impression de vivre dans l’ « actuel » (du nom d’une belle revue qui a marqué les années 1970). Ce qui est plaisant, c’est sans doute la vive impression d’être partie prenante dans un mouvement réel, dans un temps jalonné de vrais événements, et – pourquoi pas ? – dans un moment de l’histoire (une toute petite).

 

 

La revue dont je parle n’était pas tirée à des milliers d’exemplaires. La diffusion et les ambitions restaient modestes. Nous avons tout de même publié des poètes assez « renommés », tels GUILLEVIC, TAHAR BEN JELLOUN (mais lui s’est orienté ensuite vers le récit), MARCEL BEALU (celui de la librairie « Le Pont traversé », en lisière des jardins du Luxembourg), et même LEOPOLD SEDAR SENGHOR.

 

 

Oui, j’ai même mangé à  sa table, c’était chez BOURILLOT, quand il était place des Célestins, où j’ai entendu monsieur ANDRÉ MURE, alors adjoint à la Culture de l’autre COLLOMB (FRANCISQUE), parler de la culture des haricots au Sénégal avec l’ancien président du pays et académicien français. Nous avons publié d’autres poètes un peu plus confidentiels, mais d’une authenticité et d’une qualité le plus souvent irréprochables. Mais nous publiions aussi les copains.

 

 

Il faut quand même dire que certaines « productions » étaient difficiles à publier. De trois choses l’une : soit l’écriture était vraiment trop informe, soit elle était vraiment trop savante, soit ça consistait en élans lyriques mal maîtrisés (sur le plan de la forme). Et l’on rejoint le même problème que dans la musique : soit la tendance au larvaire, au retour aux éléments, à la matière, soit le grand prix de mathématiques en route vers l’inintelligible abstrait. Je schématise évidemment.

 

 

Mais que ce soit pour la musique ou pour la poésie, personne n’a l’air de se demander pourquoi les gens ordinaires ne vont plus spontanément vers les formes contemporaines d’expression. Les programmateurs de salles de concerts, pour avoir du monde, font des sandwiches du genre « une tranche de BERLIOZ, une tranche de GYÖRGY LIGETI, une tranche de BEETHOVEN », comme pour forcer les gens à se fourrer dans l’oreille des choses que, spontanément, ils fuiraient. Je le dis : ça a tout de l’autoritaire, du bourrage de crâne et du conditionnement.

 

 

La poésie expérimentale, c’est pire que la musique expérimentale, parce que l’adresse du laboratoire où elle se fabrique, où les amis se réunissent, est située dans une improbable rue Jules-Chausse, chez le bon PIERRE C., ou à la rigueur au bout d’une irréelle impasse de La Garde, chez le convivial JEAN P., voire dans une mystérieuse venelle de nos modernes centres urbains, et que pour trouver le labo, il faut au moins du volontarisme, voire de l’héroïsme. De toute façon, quand on ne sait pas où on va, ni la direction, ni la destination, c’est là que ça devient difficile.

 

 

Reste cette impression de « bouger », que PHILIPPE MURAY tourne en dérision en se moquant des slogans à la mode (« bouge ton quartier », bouge ta ville »). Ce n’est pas rien. C’est une voix très sonore qui se fait entendre. « Etre d’aujourd’hui », ça peut être un argument (« Mes œufs du jour, sortis ce matin du cul de la poule ! »).

 

 

Et ça peut même devenir une nécessité : après tout, on ne peut pas refaire sans cesse ce qui une fois a été fait. Répéter, redire, imiter, c’est plutôt mal vu de nos jours. Il faut, nous dit-on, « avancer ». Si on n’ « avance » pas, on recule, que dis-je : on régresse. Sifflet du policier : infraction à l’impératif de PROGRÈS, ça va vous coûter bon, mon gaillard. Qu’on se le dise, le monde étant lancé dans la guerre de tous les pays contre tous les pays qu’on appelle indécemment « compétition internationale », nul n’est censé échapper à la course, encore moins y faire obstacle.

 

 

Pour conclure sur la poésie, j’ai un peu honte de le dire, mais quand j’ouvre un des livres pour lesquels je me suis naguère décarcassé, je me demande le plus souvent ce qui m’a pris à l’époque. Et vous savez pourquoi ? J’ai l’impression aujourd’hui que la plupart de ces gens qui se croient obligés d’écrire des vers et de la poésie parce qu’ils se croient poètes, eh bien, ils se regardent écrire de la poésie, ils se regardent être poètes. Même s’ils sont sincères et de bonne foi, ils se regardent dans le miroir de l’idée qu’ils se font de la poésie. Cela donne beaucoup de mousse, de baudruche et de bulle de savon. Il fallait vraiment que j’aie le nez dans le guidon pour ne pas voir la réalité de ce paysage.

 

 

Ce qui est assez curieux (et drôle, si l’on veut bien) c’est d’observer la sécrétion de clichés auto-produits au sein de la (toute petite) communauté des amateurs de poésie. A quels ballets  n’assiste-t-on pas autour du mot « voix », du mot « souffle », et d’un certain nombre d’autres qui me sont sortis à présent de l’esprit ?

 

 

Y a-t-il seulement de ces poètes qui soient poussés par une vraie nécessité intérieure, quels que soient les discours dont ils enrobent leur démarche quand on les interroge ? Dans l’instant, j’en vois deux : l’un, roumain d’origine, est devenu un des plus grands poètes d’expression française. Il s’appelle GHERASIM LUCA. J’aime Paralipomènes, Héros-Limite, La Voici la voix silanxieuse. Et le reste. C’est un savant de langue qui se met à ma portée. Sa poésie est un vortex suave et mélodieux qui vous mène agréablement vers des gouffres insondables.

 

 

L’autre, qui fut d’ailleurs son ami, s’appelle PAUL CELAN, né à Czernovitz (Roumanie), dans une famille de langue allemande. Sa poésie à lui est beaucoup plus rêche, beaucoup plus directement âpre et caillouteuse. Le livre qui me l’a fait découvrir est le formidable La Rose de personne (Die niemandrose). Mais Grille de parole (Sprachgitter), Contrainte de lumière et Pavot et mémoire sont à lire. Sa poésie est un arbre à l’écorce couverte d’épines, une histoire lestée d’une tragédie lourde à porter et pour cela proche de l’indicible.

 

 

Je ne l’ai pas encore dit, mais ces deux amis étaient tous deux des juifs. Je n’y peux rien. Par-dessus le marché, ils ont tous deux décidé de leur propre mort, à vingt-quatre ans de distance. Et pour couronner le tout : ils se sont tous deux jetés dans la Seine. Cela ne veut évidemment pas dire que pour être poète en vérité, il faut se donner la mort. Cela veut au moins dire le terrible de l’enjeu des raisons pour lesquelles ils écrivirent.

 

 

En retenant seulement ces deux, je suis très sévère pour plusieurs autres qui ne méritent pas les foudres de Jupiter. Je pense à SERGE PEY, à FRANCK VENAILLE, etc. Combien de justes faut-il sauver dans Sodome ? Ce n’est pas moi le juge. Je me contente de faire mes petites observations, que je m’autorise du fait d’une certaine expérience dans le domaine.

 

 

Et parmi ces observations, plusieurs me conduisent à préférer une certaine manière de produire de la musique d’aujourd’hui, de la poésie d’aujourd’hui. Cette « manière », je ne vois pour la définir qu’une sorte de choix d’état moral. A quoi distingue-t-on, en musique ou en poésie, le truqueur de celui qui ne truque pas ?

 

 

A suivre, mais on fera de la « peinture », comme ils disent.

 

jeudi, 20 octobre 2011

SONNETTE POUR VIOLON SALE (5)

Puisque j’en suis aux Américains, il n’y a pas que JOHN CAGE dans la vie (mais il faudra que je précise quand même pourquoi, avec ce monsieur, il y a un gros quelque chose qui cloche). Ce qui est bien avec l’Amérique, c’est qu’elle produit bien souvent le pire, mais aussi, de temps en temps, le meilleur. Les principaux « répétitifs » sont TERRY RILEY, STEVE REICH, PHILIP GLASS, LA MONTE YOUNG.

 

 

La salle s’appelait à l’époque « Théâtre du 8ème ». C’était au fin fond du Bachut. C’est devenu « Maison de la danse ». C’est là que j’ai assisté à un concert de TERRY RILEY. Je devrais dire Maître TERRY RILEY : avant le concert, c’est comme toutes les salles de concert, ça pérore, ça discute, ça s’interpelle, il y a un bruit de fond, comme un train qui passe au loin. Les lumières s’éteignent, la scène s’éclaire : un clavier sur le sol, et devant, une dizaine de roses disposées en couronne en bord de scène.

 

 

Une femme vient faire une annonce : « Pendant le concert, le Maître ne veut pas de photos ». Ça tombait bien, je n’avais pas d’appareil. Le Maître, en vêtements clairs, coupés à l’indienne, c’est-à-dire amples, s’assied devant le clavier, et commence à jouer. Je pense que si ce n’était pas Persian surgery dervishes, c’était quelque chose d’approchant. Ce qu’on appelait « musique répétitive ». Mettons que décor et mise en scène étaient « en plus ».

 

 

Je viens de réécouter In C, de TERRY RILEY, pas la version de 1990 qui dure 20’, mais la version de 1995, en 76’20’’, celle du 25ème anniversaire. Ailleurs qu’en France, C, ça veut dire « do ». Toute la pièce (« répétitive ») est en do.  Pour vous dire si c’est bien, il y a trente-deux musiciens dans le studio, et à la fin, après un temps de silence complet, deux mains claquent, et alors tous les musiciens applaudissent. Ils applaudissent la musique. Ils sont heureux d'avoir participé à ça. Il n’y a pas à dire : cette musique procure de la joie. Il faut simplement laisser faire la musique, et bien écouter.

 

 

Un autre « répétitif », de belle carrure aussi : STEVE REICH. Je n’ai rien de particulier à dire du bonhomme. Ce que je sais, c’est que sa musique tient la route et que j’écoute ses disques régulièrement. Je passerai vite sur You are (variations), pour mentionner Six pianos, bien dans la veine citée et parfaitement écoutable. Mais si on veut avoir une idée de la dimension de sa musique, je conseillerai de commencer avec Different trains (joué par le KRONOS QUARTET), Music for 18 Musicians (une petite heure), et de terminer par The Desert music. Si vous ne connaissez pas, un monde nouveau s'ouvre à vous.

 

 

Un petit mot sur la musique « répétitive » (dite aussi « minimaliste ») : il ne faut pas partir sur l’idée que ça ressemble, mettons, à une sonate de MOZART, où l’artiste, d’une certaine manière, « raconte une histoire », dans laquelle les inflexions de la mélodie et les modulations harmoniques décrivent une sorte de succession événementielle. Ce n’est pas comme ça qu’on écoute la musique de STEVE REICH et des autres : c’est une musique statique  qui dessine une « atmosphère » de mouvements internes qui respirent. Il y a quelque chose de « primitif » qu’il faut laisser pénétrer, ou dans lequel il faut accepter d’entrer en laissant faire la notion de durée.

 

 

Je ne dirai rien de LA MONTE YOUNG, dont je connais trop mal la musique, pour me tourner vers PHILIP GLASS, dont le nom est relativement connu, du fait de ses apparitions lors de la projection de films muets, avec ou sans le KRONOS QUARTET, et de sa trilogie opératique en l’honneur des plus grands bienfaiteurs de l’humanité (selon lui) : Einstein on the beach, Satyagraha (GANDHI en Afrique du sud) et Akhnaten (en l’honneur du premier et seul pharaon monothéiste Akhénaton).

 

 

Pour tout dire, ses opéras sont, comment dire … longs. Mais il y a quelque chose de fascinant dans ses quatuors à cordes (et dans ses autres œuvres). Le « style » de PHILIP GLASS, sa « marque de fabrique », ce sont des mouvements arpégés, pas forcément à l’unisson, qui ont, là encore, un effet hypnotique. Ecoutez sa musique pour le film Dracula, de TOD BROWNING : le finale, où le professeur Van Helsing plante un pieu dans le coeur du vampire, est fait d'arpèges du quatuor KRONOS, on est obligé de reconnaître la puissance évocatrice de cette musique. J’entendais tout à l’heure STEVE REICH nier rechercher un effet de « transe ». Je suis assez d’accord, mais je redis que cette musique ne peut pas s’écouter comme une musique européenne ordinaire, qu'elle a quelque chose d'hypnotique.

 

 

PHILIP GLASS a écrit beaucoup de musique. Pour sa trilogie d’opéras, je conseillerai surtout Einstein on the beach, ou même, tout simplement, le disque Songs of the trilogy, compilation suffisante.  A écouter aussi : Solo piano, de et par PHILIP GLASS. Mais moi, franchement, si j’avais à dire une préférence, je prendrais sans hésiter le disque de ses quatuors à cordes (n° 2, 3, 4, 5), évidemment par le KRONOS QUARTET. Le sommet est le quatuor dit "Buczak".

 

 

Le dernier Américain par lequel je ferai un détour s’appelle GAVIN BRYARS, ’pataphysicien de son état, et auteur à ce titre de la partition Prélude à la rrose (quoi ?). Avec l’orthographe conforme, comme de juste. Un jour, j’ai passé le disque intitulé Jesus’ Blood never failed me yet, une somme de 74 minutes répétant une séquence incluant la phrase ci-dessus, inlassablement psalmodiée (plutôt que chantée)  d’abord par un authentique « tramp », puis par TOM WAITS en personne, excusez du peu. Ma fille a manqué devenir folle. J’en ai conclu qu’elle manquait encore de maturité.

 

 

The Last days est un disque de quatuors à cordes. GAVIN BRYARS ne travaille pas avec le KRONOS, mais avec le BALANESCU QUARTET. Très valable. Quatre belles pièces dans After the Requiem. Ce que j’aime bien chez les Américains, c’est la plasticité de leurs formations orchestrales ou chambristes, et l’absence de préjugés sur les étiquettes. On a vu passer le nom de TOM WAITS. Ici, c’est le guitariste de jazz BILL FRISELL qui intervient.

 

 

On peut se laisser tenter par Vita nova, produit chez ECM par MANFRED EICHER, par Farewell to philosophy, dans lequel intervient le grand bassiste de jazz CHARLIE HADEN, un peu moins par A Man in a room, gambling, mais c’est un avis personnel. Ma préférence va cependant à The Sinking of the Titanic, où GAVIN BRYARS imagine d’un indéniable force la chute du navire de zéro à quatre mille mètres de profondeur, avec tout ce qu’on peut entendre de bruits divers sous la mer, accompagné par le cantique joué sans discontinuer par le quatuor à cordes de l’équipage, comme le veut la légende. Un travail extraordinaire.

 

Fermeture de la parenthèse américaine.

 

 

A suivre, peut-être.

 

mercredi, 19 octobre 2011

SONNETTE POUR VIOLON SALE (4)

(ET CONCERTO POUR CASSEROLE MALPROPRE ET ORCHESTRE)

 

J’ai beaucoup fréquenté les concerts de musique contemporaine, en particulier lors des Festivals qui avaient (et ont) lieu dans la ville. Cela s’est d’abord appelé « Musique nouvelle » (à partir de 1980), suscité par le bon, l’excellent DOMINIQUE DUBREUIL, qui fut relayé par « Musiques en scène » (à partir de 1990 ?), jusqu’à aujourd’hui, cornaqué par JAMES GIROUDON et PIERRE-ALAIN JAFFRENOU. Ces deux-là avaient donné en 1990 Jumelles, un « drame divers, fait lyrique », je crois que c’était au Théâtre de la Renaissance.

 

 

Le drôle de l’affaire, c’est qu’il y avait dans la salle au moins une dizaine de couples de jumelles authentiques, dont deux, je m’en souviens, juste devant moi, avaient une magnifique chevelure d’un blond somptueux. Deux ou trois musiciens évoluaient sur scène, dont un habillé d’une sorte de combinaison chargée de « capteurs » (?) qu’il actionnait de la main, de façon visiblement improvisée. Les vraies jumelles dans la salle m’avaient davantage amusé que l’argument du spectacle, appuyé classiquement sur les relations paradoxales de deux sœurs vraiment jumelles.

 

 

De « Musique nouvelle », je me souviens de peu de choses. Une séance, en 1982, où BRUNO CANINO, le pianiste, explique je ne sais plus quelle œuvre de je ne sais plus qui. J’avais vu (était-ce IVO MALEC ou MAURICIO KAGEL ?) un compositeur diriger une répétition avec des jeunes sortis du Conservatoire classique, qui avaient un peu de mal avec ce que le chef leur demandait de faire à leur instrument. Je les comprends. BOULEZ chef d’orchestre dit lui-même que la musique contemporaine est à faire répéter le matin aux musiciens, l’après-midi étant consacré à des partitions plus « consacrées ».

 

 

Ouverture de la parenthèse sur l’expérimental.

 

 

C’est vrai que tout ce qui se présente comme « expérimental » est difficile à situer en termes de « valeur ». Que faut-il de spécial dans l’oreille pour saisir ce qui est promis, sinon au panthéon ou au dictionnaire, du moins à un avenir (à la durée indéfinie) ? Pour avoir œuvré pendant une vingtaine d’années dans un groupe « poétique » à la sélection des manuscrits reçus, je peux dire que, sans être complètement la bouteille à l’encre, ce genre de repérage, d’une part, est profondément fastidieux, à cause du temps passé à lire du pas-grand-chose, d’autre part, est très aléatoire, à cause du flou dans la détection des « perles rares ».

 

 

Ceci est aussi vrai dans les arts plastiques et la poésie que dans la musique. Mais ce qui est curieux, aujourd’hui, c’est que dans les arts plastiques, personne ne moufte, plus un seul quidam n’ose envoyer un petit suisse dans la gueule de l’artiste parce qu’il a la certitude qu’on se paie sa fiole. Dans la poésie, je ne sais pas si vous avez remarqué, plus personne n’émet le moindre jugement de valeur sur ce qui s’écrit et sur ce qui se publie.

 

 

En musique, c’est le même tabac : c’est à peine si j’ai entendu quelques acrimonies s’exprimer récemment quand PIERRE BOULEZ (84 ans) a dirigé Plis selon plis, sa propre musique écrite sur des textes de STEPHANE MALLARMÉ. Mais c’est normal : PIERRE BOULEZ est un pape, ça impressionne, et même ça intimide.

 

 

Je crois deviner pourquoi ça ne rue plus nulle part dans les brancards : et d’une, tout ce qui est nouveau est un progrès formidable et tout ce qui existait déjà est forcément ringard, une tendance qui surfe sur le snobisme des ignorants qui commencent à s’initier au nouveau et qui n’osent pas trop encore risquer de passer pour des balourds, mais aussi sur le snobisme des « créateurs de tendance » qui tirent moult monnaie sonnante et trébuchante de la ruée sur tout ce que la renommée décrète être un mode.  

 

 

Et de deux, chacune des unités qui constituent le « public » a désormais, en connaissance de cause, choisi le ghetto dans lequel il a décidé de s’introduire, se muant dès lors en adepte enthousiaste par principe. Le raisonnement se tient : « J’ai payé ma place parce que j’aime cette musique, donc, quand le dernier hurlement de l’orchestre se tait, je hurle et j’applaudis à mon tour pour être sûr que j’ai rentabilisé mon billet ».

 

 

Fermeture de la parenthèse sur l’expérimental.

 

 

Ouverture de la parenthèse sur les Américains.

 

 

Parce que plus récents, les souvenirs que j’ai gardés des plusieurs festivals « Musiques en scène » auxquels j’ai assisté sont plus nets. Je me rappelle en particulier une soirée passée au Goethe Institut, rue François-Dauphin, où un Allemand très digne et très comme il faut présentait CONLON NANCARROW. Il présentait ça très sérieux, même un peu raide, à l’allemande, quoi. Il faut savoir que CONLON NANCARROW est un allumé de première, bien qu’il soit américain naturalisé mexicain (remarque, il faut déjà le vouloir).

 

 

Lui, il a réinventé le piano mécanique. Quand je dis réinventé, c’est vrai. Le piano mécanique, vous connaissez : un mécanisme, un carton perforé, et ça se déroule : les touches sont actionnées toutes seules. Là c’est lui qui fabrique le carton, enfin, quand je dis carton, c’est faux : une feuille d’une longueur improbable (plusieurs mètres, entre dix et vingt, pour six minutes de musique), d’un papier sans doute résistant, dans lequel CONLON NANCARROW a fait les  trous lui-même.

 

 

Mais pas n’importe comment. D’abord, il a mis cinq ans à faire ses trous. Et les trous sont plus ou moins allongés, plus ou moins rapprochés. Plus c’est rapproché, plus la fréquence des notes répétées (sur une seule ligne) est rapide. Ça peut aller jusqu’à huit ou dix notes à la seconde, quand le doigt du pianiste peut en placer trois s’il est bon.

 

 

Au bout de cinq ans, c’est merveilleux, le compositeur peut enfin entendre en vrai ce qu’il a écrit (je doute que jusque-là il en ait eu la moindre idée) : il place son rouleau de papier travaillé dans le dérouleur fixé quelque part sous le clavier, et en avant la musique. Il faut évidemment un piano spécialement retravaillé pour que le mécanisme agisse. J’avoue que le résultat a quelque chose d’hallucinant. Je retiens quand même que ça tient plus de la performance sportive que du pur plaisir musical. L’Allemand en question était le propriétaire des deux pianos en démonstration. Ça explique. Non, j’exagère : c’était vraiment intéressant.

 

 

Dans la famille des « originaux », je demande ensuite HARRY PARTCH. Encore un sacré allumé comme je les aime. Il a deux lubies : fabriquer de nouveaux instruments de musique, et développer les gammes musicales microtonales (pas des gammes de douze demi-tons (ou degrés), mais des gammes à quarante-trois degrés). Il se définissait comme un « musicien philosophe séduit par l’ébénisterie ». J’adore l’idée de telles folies qui finissent en impasses.

 

Allez, à demain. Et portez-vous bien !

 

 

lundi, 17 octobre 2011

SONNETTE POUR VIOLON SALE (3)

Revenons à la musique. Par exemple à l’électronique (électroacoustique pour les puristes). Produire des sons en passant par des machines, voilà une logique, non de musicien, mais d’ingénieur. La musique électroacoustique est d’abord une musique d’ingénieur. Songez-y bien : le musicien pense « musique » ; l’ingénieur songe « procédés ». IANNIS XENAKIS, musicien unanimement célébré dans le monde, est d’abord un ingénieur, diplômé de l’Ecole Polytechnique d’Athènes. Le 20ème siècle fut fasciné par ses propres pouvoirs, au point d’atteler le bétail du  génie musical à la charrue des compétences de l’ingénieur. C’est un grand risque, je dis, moi.

 

 

C’est vrai que l’instrument de musique traditionnel, c’est idiot, finalement, parce que ça ne peut servir qu’à ce pourquoi ça a été fait : de la musique (soufflée, frottée, frappée, c'est les trois manières). Un violon, ça a un usage exclusif. Tandis que les machines servent ENTRE AUTRES à produire des sons musicaux. On pourrait les faire servir à tout autre chose (et on ne se gêne pas) : le contrôle d’une chaîne d’assemblage de voitures, par exemple. Le fond de l’affaire, c’est que ces machines font de la musique accessoirement, et pas exclusivement. La musique n’est qu’une des multiples fonctions qu’on peut leur faire  remplir. Voilà, dans le principe, ce qui me gêne dans la logique de l’ingénieur appliquée à la musique.

 

 

Car voyez les performances inégalées, et encore moins dépassées, du siècle des ingénieurs : 20.000.000 de morts en quatre ans de guerre mondiale, puis 50.000.000 en six ans de guerre mondiale bis, puis la bombe atomique, comptons pour rien quelques génocides du début à la fin du siècle, et quelques destructions subsidiaires. Bref : de quoi être fier. Il était normal d’imaginer que l’homme pourrait surpasser l’homme par ses inventions techniques et par le pouvoir des ingénieurs, et que les machines pourraient reproduire TOUS les instruments de musique connus, et bien au-delà. On y est arrivé.

 

 

C’est ainsi que des milliers d’ingénieurs se sont rués dans la brèche ouverte par MAURICE MARTENOT (l’onde Martenot) et LEON THEREMINE (LEV TERMEN : le Theremin). A propos de ce dernier, il y a une vidéo marrante qui traîne sur internet.

 

 

Dans le très bas de gamme, cela donne JEAN-MICHEL JARRE, moins musicien qu’homme d’affaires avisé et organisateur de grands spectacles. Pas besoin d’épiloguer.

 

 

Passons à l’échelon au-dessus : les Allemands. Eux, ils donneront aux appareils électroniques une tout autre dimension : j’ai encore quelques disques des groupes de l’époque : TANGERINE DREAM (Stratosfear), KLAUS SCHULZE, le dissident du précédent, KRAFTWERK (« Bahn Bahn Bahn, auf der Autobahn »), AMON DÜÜL II,  ASH RÂ TEMPEL. Mais les Allemands, quand ils entreprennent, c’est tout de suite une autre dimension (voir MANFRED EICHER et son label ECM). Tout ça reste malgré tout de la simple pop music. Je n’ai rien contre, hein !

 

 

En milieu de tableau, comme on dit au football, cela donne XAVIER GARCIA, GUY REIBEL, CHRISTIAN ZANESI, et dans le sillage, divers tripatouilleurs de potentiomètres, bidouilleurs d’amplificateurs et autres machins, trucs et bidules. Je ne déteste pas Granulations-sillages, de GUY REIBEL. XAVIER GARCIA, ce n’est pas mal. Bon, il a posé ses sons sur Amers, œuvre grandiose de SAINT JOHN PERSE. Ce faisant, a-t-il servi la poésie, ou bien s’est-il servi d’elle ? Je penche pour la deuxième réponse.

 

 

Mais c’est vrai aussi de pas mal de musiques posées sur des textes, alors que c’est très difficile d’arriver à les marier intimement. Même Un Coup de dés, musique « normale » de CLAUDE BALLIF sur la grande œuvre hermétique de STEPHANE MALLARMÉ a du mal à convaincre les mallarméens.

 

 

Dans le très haut de gamme, maintenant, cela donne, à tout seigneur tout honneur, PIERRE HENRY, qui, depuis sa célèbre Messe pour le temps présent, popularisée par le ballet de MAURICE BEJART, n’en finit pas de tracer son sillon (c’est chez lui qu’il donne ses concerts), suivi de près par FRANÇOIS BAYLE et BERNARD PARMEGIANI. DENIS DUFOUR, lui, est un homme sympathique, qui vit pieds nus pour ressentir les vibrations du monde qui l’entoure. Il a composé une fort belle pièce en l’honneur du grand texte de STIG DAGERMAN, Notre Besoin de consolation est impossible à rassasier (minuscule opuscule, chez Actes Sud).

 

 

J’ai assisté il y a longtemps à un concert de musique « acousmatique » à l’Auditorium, donné par FRANÇOIS BAYLE, tout seul installé face à la scène, devant une immense table de mixage (donc tournant le dos au public). Sur celle-ci, pas de chaises ni de pupitres, mais une armée de hauts-parleurs de toutes tailles, orientés dans tous les sens. Un concert sans humains pour faire les sons, ça fait a priori austère. En vérité, ce fut un concert formidable : il suffit d’être là et de laisser les ondes acoustiques produire les sensations physiques pour lesquelles elles sont fabriquées. C’est comme un massage : je suis ressorti euphorique et plein de vigueur intérieure. C’est très hygiénique, vous ne trouvez pas ?

 

 

Je dirai pour conclure sur ce point que des musiciens spécialisés exclusivement en électroacoustique (et qui soient vraiment des compositeurs), il n’en existe pas des pléiades, et que c’est peut-être heureux, en ajoutant que c’est une chose d’écouter un disque chez soi, sur son appareil, si sophistiqué soit-il, mais que  l’expérience du concert en est une tout autre, vu l’importance prioritaire de l’espace dans lequel ça se passe, et de la spatialisation des sons. J’ai dit.

 

 

La boutique attenante, maintenant, n’est pas une boutique, mais un  hangar, que dis-je, un bazar, un fatras, un souk. C’est à tous les rayons qu’on en trouve et à toutes les sauces qu’on en mange, de la « bande magnétique » : pour orchestre et bande magnétique, soprano, harpe et bande magnétique, n’importe quoi et bande magnétique. IVO MALEC (né à Zagreb) a même composé Dahovi, pour bande magnétique solitaire, où il s’agit « de varier un son blanc (au sens poétique plutôt qu’acoustique). Un grand jeu de mixages successifs, d’agglomérations et de tensions, alterne, le long de la pièce, avec les passages dessinés de quelques lignes ou quelques ombres seulement » (propos du compositeur). Débrouillez-vous avec ça.

 

 

Moi, je ne veux pas critiquer, vous me connaissez, je n’ai pas le cœur à ça, mais je vois bien le concert, dans ces conditions : vous vous installez dans la salle. Sur la scène, une table avec un magnétophone (raisonnons « à l’ancienne ») posé dessus. La salle se remplit. A la sonnerie, le compositeur (ou le technicien de plateau, ou le concierge, ou un passant qui est là parce qu’il a vu de la lumière), entre en scène, va vers la table, appuie sur le bouton « marche » et s’en va. La bande finit par s’arrêter. Tout le monde applaudit le magnétophone. Et je rigole.

 

 

Bon, maintenant l’informatique a encore simplifié et miniaturisé : tout est programmable, sauf le nombre de spectateurs payants. Au moins, à la fin de son concert, FRANÇOIS BAYLE a-t-il pu se lever, se retourner et saluer. Je ne me vois pas applaudir un ordinateur. Même si l’olibrius qui a en laboratoire charcuté le programme entendu par le public vient saluer à la fin, je me vois mal le congratuler.  

 

 

Autant, à la fin d’une « exécution », compte tenu des aléas, ça se justifie, autant un programme définitif qui s’est déroulé à la bonne vitesse, est-ce que ça s’applaudit ? Dans ce cas, chaque Japonais qui passe devant La Joconde devrait taper frénétiquement dans ses mains. Il n’est même pas sûr qu’aucun ne le fasse. A la rigueur, on pourrait organiser l’occupation de la salle de La Joconde par groupes, pour faire comme au concert. Mais que voulez-vous, ce sont les Japonais.

 

 

J’ai aussi assisté à des concerts comportant un « dispositif ». Alors là, je me suis longuement interrogé sur ce que c’était qu’un « dispositif ». Je vous donne un exemple : sur scène, un tromboniste de jazz connu (j’ai oublié son nom) souffle dans son instrument. Un « dispositif » est là pour transmettre le son à un « programme » relié à un « palpeur » (???), devant lequel une danseuse exécute des mouvements censés être modifiés par je ne sais quoi. On m’a parlé de « dispositif interactif ». Génial, non ? Autre salle, autre exemple, mais cette fois, le « dispositif » était placé à l’intérieur du piano, pour quoi faire ? Mystère.

 

 

Dans les concerts électroacoustiques, ou avec bande magnétique, ou avec « dispositif », ce qui me gêne, c’est d’être interdit de coulisses. Dans un concert avec les instrumentistes en direct, il n’y a plus de coulisses. Il arrive qu’une corde casse : on recommence, ou on continue, mais ça s’est passé. Ici, on a l’impression que l’essentiel se passe hors de la vue des spectateurs, dans un laboratoire inaccessible au commun des mortels. Le reproche que je fais, c’est que cette musique-là reste une affaire de spécialiste, voire d’expert.

 

 

A suivre une autre fois.

 

mercredi, 12 octobre 2011

SONNETTE POUR VIOLON SALE (1)

(OU CONCERTO POUR CASSEROLE MALPROPRE ET ORCHESTRE)

 

De la musique contemporaine et du plaisir musical.

 

C’était place des Cordeliers, l’ancien et superbe immeuble triangulaire  des Galeries Lafayette. Tout en haut, dans l’angle qui donne direct sur le pont Lafayette et sur le Rhône, il y avait une petite terrasse, pour donner de l’air et du paysage à un petit débit de boisson, enfin, juste quelques tables, d’ailleurs très peu fréquenté. Avec Alain, Guy ou Bernard, j’allais de temps en temps boire une bière en sortant du lycée à quatre heures (ou avant l’heure, mais ne le répétez pas).

 

Nous étions en Terminale. Nous traversions les anciennes Halles façon Baltard : c’était rien que du beau en verre et en métal (peint en vert, si je me souviens bien), comme à Paris, et détruites aussi, comme à Paris. Ici, on fait tout comme à Paris, dès qu’il s’agit de détruire.

 

On s’arrêtait un moment sur le parvis de Saint-Bonaventure à écouter les camelots faire l’article pour un éplucheur miracle ou une merveille de filoche. Bien entendu, le maire Louis Pradel a vite interdit les camelots. Forcément, c’est trop sympathique et convivial. Dans la foulée, il a remplacé les Halles style Baltard par un parallélépipède de béton à plusieurs étages pour mettre les voitures et une banque. Et la petite terrasse pour boire un coup, où personne ne montait, même avec les escalators, on lui a mis un couvercle blanc très laid et très opaque. Ce n’est même plus les Galeries Lafayette.

 

Attention, j’ai en horreur la nostalgie du passé (« Ah mon bon monsieur, c’était mieux avant ! – A qui le dites-vous, ma bonne dame ! »). J’ai assez entendu quelqu’un chanter les louanges de Concarneau, quand les bateaux rentraient le soir au port, avec leurs voiles multicolores. Mais quand un maire travaille d’arrache-pied à magnifier la laideur de sa ville, je dis quand même que c’est une saloperie. C’est aussi Louis Pradel qui a creusé de ses mains le fameux « tunnel de Fourvière ». J’espère qu’il s’est bien niqué les ongles. Ah, on me dit qu’il est mort ? Eh bien, c’est une bonne chose de faite. D’un autre côté, c’est dommage, parce que ça m’ôte le plaisir.

 

Tiens, justement, Gérard Collomb, son lointain successeur, après avoir bradé le quartier Grolée au fonds de pension Cargill pour en faire un pôle du commerce de luxe, mais qui  reste, en l'état, une lugubre friche commerciale, a bradé l’Hôtel-Dieu, oui, ce grandiose monument historique, à des « investisseurs » (euphémisme, évidemment, pour « prédateurs »), dont l’un a l’intention d’installer des boutiques de luxe et, le fin du fin, un hôtel 5 étoiles juste sous le monumental dôme. Ce n’est plus « gauche caviar » qu’il faut dire, mais « gauche Rolls Royce ». Au fait, je ne sais pas si Gérard Collomb s’habille toujours de costumes Hugo Boss.

 

Pauvre mauvais maire, quand même, ça ne doit pas être évident de faire, systématiquement, le choix du LAID pour se faire réélire par des CONS. Dire que nous avons été condisciples de révolution !  Authentique ! Tout le monde a en mémoire l’immortel « groupe de la salle 3 », non ? Mais si ! 1968 ! Non ? Tant pis ! C’est vrai qu’à défaut de tuer des commissaires (Lacroix, sur le pont Lafayette, le 24 mai 1968), nous avions convenablement « tué le temps ». Si vous voyez Gérard, passez-lui mon bonjour de la part d’un « ancien de la salle 3 » ! Il se souvient, je le sais. Remarquez, je ne sais pas comment il le prendra.  

 

Voilà, je me suis de nouveau laissé aller. J’étais donc parti sur la « musique contemporaine ». J’aimais bien les Galeries Lafayette, à cause du rayon disques (mais « Télé-Globe », place de la République, et « Denys disques », passage de l’Argue, ont aussi fermé leurs portes depuis lurette, mais si on va par là, on n’a pas fini). C’est là que j’ai trouvé, entre autres, les V. S. O. P. de Louis Armstrong (label CBS), avec le « hot five », dont sa femme Lil Harding au piano, puis le « hot seven » avec, au piano, Earl Hines, enfin un vrai pianiste. Oui, les huit. Je parle de l’époque des vinyles, hein ! Ceux-là, je les ai donnés à un amateur, un vrai. Comme musique « contemporaine », il y a mieux, il est vrai.

 

Mais voilà, j’y ai aussi trouvé des disques à la pochette entièrement argentée et fluorescente : la collection « Prospective 21ème siècle » de Philips. Plus tard, j’ai découvert que La Révolution surréaliste avait usé d’un procédé luminescent analogue dans les années 1920 (procédé « radiana », si je me souviens bien, mais avec un nom pareil, le radium ne doit pas être loin, alors que les pochettes Philips font juste un effet d’optique) : quoi qu’il en soit, qu’est-ce que ça pouvait me faire, franchement ? J’ai donc acheté deux disques des Percussions de Strasbourg, et un d'Ivo Malec, tous gratifiés d’un « Grand Prix International du disque », Académie Charles Cros. Je ne sais plus si c'était en 1970 ou avant. J’ai toujours ces disques.

 

L’un comportait une pièce de Milan Stibilj, Epervier de ta faiblesse, domine !, sur un poème de Henri Michaux dit, non : proclamé par Claude Petitpierre, qui me reste encore dans les oreilles. Sur un autre étaient enregistrées, avec des Inventions de Miloslav Kabelac, Quatre pièces chorégraphiques de Maurice Ohana, que j’ai préféré oublier, sur le troisième, Ivo Malec proposait quatre pièces, parmi lesquelles Cantate pour elle. Il a décidé de devenir un compositeur important et il y est arrivé.

 

Tout ça pour dire que ça m’intéressait, la musique contemporaine. Et plus le temps a passé, plus ça m’a intéressé. Je ne sais pas bien pourquoi. La curiosité sans doute. L’envie d’échapper à un carcan sonore, en direction d’un « ailleurs » toujours plus lointain. La même envie qui me poussait à l’époque vers ce qu’on écoute quotidiennement  en Inde, en Chine, en Afrique et autres planètes.

 

Mais restons-en au « contemporain ». Il n’y a aucune vanité à en tirer : ce qui me poussait, c’était une aversion pour … disons pour la routine auditive, la rengaine sonore, le ronron musical, le refrain obligé, le cercle vicieux radiodiffusé ou culturellement dominant. C’était moins un goût positif, une attirance authentique envers des sonorités inouïes ou je ne sais quelle décision de « vivre avec mon temps », qu’un vague dégoût pour le réchauffé, un rejet diffus d’un héritage dont la conception et l’élaboration m’échappaient.

 

Finalement, je n’étais pour rien dans ces formes reçues. En me tournant vers le contemporain, j’avais l’impression d’être partie prenante dans l’orientation de mon époque, de participer à la construction de l’édifice à venir, et d’avancer sur une voie qui m’était plus personnelle. C’était donc plutôt une raison négative qu’un tropisme véritable et spécifique. On ne se doute pas combien le désir de ne rien devoir à personne, d’être l’auteur et le créateur de son propre patrimoine, et de constituer la seule origine de son propre héritage peut occuper l’esprit de certains enfants gâtés. J’étais peut-être un enfant gâté. Mais c'est aussi une marque de l'adolescence, je me dis.

 

A suivre ...